Mathieu Pernot: les gisants

Fragments d'une exposition au musée du jeu de Paume

La Leçon de Photo de Monsieur Mathieu Pernot, donnée au Jeu de Paume.

Un commentaire didactique de la série « Les Migrants »

 

En 1911.  Apollinaire s’écriait, au sortir d’une exposition désastreuse, « Hélas ! Trois fois hélas ! Que deviennent tous les tableaux qu’on expose ? Je pense qu’ils fondent….et c’est le mieux qu’on leur puisse souhaiter ».

C’est ce que je souhaiterais à la production dite photographico-documentaro-pamphleto-artistico-pipeule de Mathieu Pernot.  Je décrirai plus complètement tout le mal que je pense de cette exposition abondante d’œuvres aussi faibles. Je veux me consacrer ici aux plus racoleuses que montre l’exposition du Jeu de Paume.


Mais, avant que de venimer sur les clins d’yeux douteux d’un photographe pipeul, il faut rassurer les « regardeurs » : au Jeu de Paume, il n’y a pas seulement, des pernoteries, il y a du grandiose, les photos de Robert Adams. Et, puisqu’on a entamé cette chronique par Apollinaire, on le détournera en l’honneur de l’américain : « La photographie n’est pas un art reproducteur mais créateur ». (en vrai : « la peinture n’est pas un art…. »


Revenons aux magnifiques photos de migrants. Ce sont des afghans clandestins. C’est M.Pernot et ses commentateurs qui le disent. On n’a aucune raison de ne pas les croire. En fait on n’a pas davantage de raisons de les croire. C’est un des miracles de la photographie quand elle est documentaire mais qu’elle ne peut s’empêcher de chatouiller la rétine des regardeurs. On dit ce qu’on fait mais on vous demande d’avoir la politesse de croire l’auteur sur parole (pardon, sur image) même si l’image ne dit rien. Après tout, quand on met une photo documentaire au mur ce n’est pas pour donner un texte à lire ! La photo parle plus que n’importe quel texte. C’est ça son mérite. Un point c’est tout. De toutes les façons, il faut se pénétrer d’une évidence : la photo de M.Pernot est comme les prix sur un marché de concurrence pure et parfaite, elle contient toute l’information utile, celle qui vient du passé, celle qu’on nous livre aujourd’hui, car il y a bien un aujourd’hui de la photo, figé une bonne fois pour toutes et qui ne pourra pas dériver vers le passé, et bien entendu enfin celle de l’avenir. Donc ce sont des Afghans migrants et c’est pour ça que cette partie se nomme « les Migrants ». Ne me demandez pas pourquoi, elle ne se nomme pas « les Migrants Afghans ». Je ne sais pas. Il faut probablement se référer au « modus de l’opus » comme on peut lire dans quelques petites notes déposées ici et là pour ceux qui ne savent pas regarder franchement et directement.  



Sont-ce des documents ? Ce sont des migrants. Des afghans. Des clandestins cachés qui dorment à découvert dans un square public.  Au fond j’aimerais le croire. J’aimerais que M.Pernot ait décidé de rencontrer une humanité que nous ne voyons pas. A côté de laquelle nous passons sans la voir. Transparente. Nous avons tant de choses à penser. Les enfants. L’école. Le job qui est vaccillant. Le job qu’on ne va pas avoir. L’euro qui va manquer à la fin du mois. Ces imbéciles qui font la grève sans prévenir. …  Du coup, comment voir le type qui est là par terre en train de dormir dans le square, où de toute façon on ne passe pas. J’aimerais …. Peut-être que ce serait bien des photos sur l’indifférence, sur les inquiétudes qui sont parallèles et qui ne se rejoignent jamais naturellement.


Passons à autre chose : c’est de photographie qu’il faut parler et pas d’Emmaüs. On est au Jeu de Paume et pas dans une manifestation pour le droit au logement des émigrés afghans. On est devant de très belles photos XXL. Très belle taille pour un salon ou pour un hall d’entrée généreusement vaste. « Chouette photo, ta photo. C’est du Pernot ? Ouais, on voit bien ». « Tu vois, ce que j’aime dans cette photo, c’est la discrétion. On sait que c’est des afghans, des pauvres types. Une vie de galère. Eh bien, tu vois, ce qui est bien avec Pernot, c’est qu’il en fait pas des tonnes sur la misère, la pauvreté, la galère, la galle et tout le reste. Pudique, il est Pernot, tu vois. Austère, même. Si tu regardes bien. On voit pas d’afghans. C’est ça qu’est fort. Il y a la photo. Le coup de poing. C’est peut-être pas des mecs qui dorment. Y sont peut-être morts. C’est ça le coup de poing.  Mais pas contextualisé. Abstrait. Y choque pas Pernot. C’est juste comme des formes abstraites. Un chouette sujet de photo. Une vaie leçon si tu regardes bien. Tout est OK. Tu vois ».


J’ai vu.

J’ai vu de la belle photo. Avec des effets de tissus qui rendent des volumes. Avec des volumes dont les couleurs sont complémentaires comme il faut. Pas une erreur dans le calibrage de la lumière. Elle est là plate, dure, sans frivolité. Sans ombre surtout. Cette ombre qui donnerait des illusions d’épaisseur, de vie et de mouvement. Les migrants sont figés dans leur sommeil. Ne sont-ce pas en fait des gisants ? Symboliques, j’entends ! Des gisants de migrants. Des migrants pétrifiés dans leur gésir. C’est ça le message. La photo c’est comme la sculpture : du temps et de l’espace congelés. Belle leçon de photo qui montre que la photo montre les hommes et l’art plus que le pourront jamais les hommes et l’art.


Quelles belles photos. Heureusement, M. Pernot a su s’écarter du phénoménal, des visages, sales, des barbes (les afghans sont toujours barbus), des mains noires, des crevasses sur des peaux usées et malades.  Il nous a évité le document « émotionnant ». Il nous a donné de l’art. Enfin, de l’art. Des photos bien faites. Les migrants gisent et ne posent pas, c’est sûr. Il n’est pas même possible de l’imaginer mais le photographe a su se placer en tournant autour des migrants immobilisés dans leur sommeil. Il a, c’est à son honneur, systématiquement recherché les migrants dormant intégralement recouverts, qui d’un drap d’un beau blanc, qui d’une bâche d’un beau vert, le tout avec des tons de gris austères mais élégants. Et les froissés. Les froissés ! De la sculpture pure. Arriver à rendre ces froissés et cette texture de bâche blanche qui contraste avec le gris sombre d’un trottoir au petit matin sur fond noir des arbres du square ! Celle photo-là est émouvante. En général, rien ne transparait de ce que recouvrent les bâches, les plastiques. Ici dans cette photo-là, du blanc pur d’un quasi linceul, émerge une chaussure. C’est du Van Gogh non ? Cette photo-là va plus loin encore dans la recherche de l’expression juste. Parmi ces photos, celle-là et deux ou trois autres ont adopté un parti fort dans le cadrage. Si j’osais des comparaisons,  je penserais au Christ de Mantegna, vu couché, les pieds en premier plan. Eh oui. Il y a des audaces de ce genre.


« Tu vois, c’est fou. C’est un plan à la Mantegna. Y s’en rend peut-être pas compte, Pernot. Mais, c’est comme ça. Tu vois, l’art c’est éternel. Y s’répète. C’est fou non. Et les couleurs. Je peux te dire que ça passe fort dans une déco sobre. Avec du Corbu et du Perriand ».

« T’as pas peur que ça passe ? Les couleurs et tout ? ».


« C’est du passé ça, mon bon. Les photos, elles fondent plus ».

Dommage. 

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