Monnaie et tiers de confiance

Penser la monnaie. Tiers de confiance ou confiance à 100%

 

 

Chronique parue dans le Huffington Post

 

La monnaie est un produit conjoint de la confiance et de la croyance. Cela ne dit pas tout de ce à quoi elle sert mais une très grande partie. Elle est née d’une sorte de dislocation dans les termes de la confiance. Et ce qui est encore plus étrange (ou nécessaire diront les déterministes) est que cette dislocation est sur le point de se répéter, quelques 2500 ans après la première « révolution ».

 

Aujourd’hui cette révolution met en œuvre un concept : le tiers de confiance. Il y a révolution parce que ce qui appartenait aux hommes est de plus en plus confié aux machines. Plus concrètement, le tiers de confiance dominant dans l’antiquité : les prêtres du temple, l’homme absolu, est en passe de se faire remplacer par les algorithmes, les chiffres absolus. Evidemment, ces questions soulèveront la nécessaire et fatale question qui traîne dans tous les vieux bouquins de philo : « Quis custodiet ipsos custodes? »

 

Le temple et la confiance

 

On l’a indiqué dans quelques remarques sur la monnaie : les Perses, empire le plus riche de son temps, ni les Egyptiens à leur époque la plus glorieuse, ne connaissaient la monnaie au sens où nous la connaissons, c’est-à-dire au sens où les Grecs l’ont inventée.

 

On sait que les deux civilisations les plus marquantes du monde antique utilisaient la monnaie dite anonyme et pesée. En d’autres termes, les paiements métalliques résultaient de découpes dans des lingots, la valeur étant établie à la suite de pesées. Pour aboutir à ce qu’une confiance dans ce procédé permette des échanges (cela a été le cas pendant des centaines d’années) il fallait que les parties à un paiement soient assurées de la qualité du métal utilisé, de la qualité de l’instrument de pesée et de l’origine légitime du lingot dans lequel était « découpé » le montant du paiement.  

 

Vérifier la qualité du métal ne relevait pas d’une science très compliquée et les parties à l’opération pouvaient s’y livrer, si ce n’est qu’il était mieux de n’avoir pas à débattre sur ce sujet et qu’un « tiers garant » permettait de simplifier les choses et d’éviter des contestations oiseuses.

 

C’est ici que, dans le domaine monétaire, on rencontre le fameux « tiers de confiance » terminologie qui n’a fait son apparition qu’assez récemment dans le vocabulaire technico-juridique français.

 

Concrètement, ce tiers de confiance, assure une prestation d’importance pour les parties à un contrat : il leur évite de perdre un temps important à débattre des termes et conditions d’un apurement de créances. Personne ne sera surpris de relever que cette fonction appartenait plutôt à des gens de religions, c’est-à-dire de croyance. Des gens qu’on pouvait croire dans ce qu’ils faisaient et en qui on pouvait avoir confiance dans leurs façons de procéder : donc, les temples, les prêtres, plutôt que les pouvoirs publics ou des personnes privées (si tant est que cette catégorie de personnes existât vraiment dans l’antiquité).

 

Etaient-ils indispensablement liés aux opérations monétaires ou pouvaient-ils assumer une fonction de paiement sans mobiliser ce concept un peu étrange de monnaie ? Dans les faits, les temples, les tablettes sur argile en témoignent, étaient aussi teneurs de comptes pour autrui, relevant les dettes et les créances et en attestant dans leurs livres. La croyance dans la vérité de ces inscriptions reposait sur la confiance dans les hommes de religion, c’est-à-dire aussi et surtout dans les institutions qu’ils servaient.

 

Les mêmes fondements étayaient donc une vie « administrative » et une vie « monétaire ». les mêmes hommes étaient mobilisés provenant des mêmes institutions. Pourrait-on dire que la fameuse monnaie « signée » des Lydiens est venue casser « l’unicité » des procédures entourant la production de croyance et de confiance ?

 

La monnaie, nouveau mode de production de confiance

 

« L’invention » de la monnaie par les Lydiens est venue radicalement modifier le système de production de la confiance. On ne détaillera pas les procédés technologiques par lesquels les lydiens ont réussi à fabriquer des pièces de monnaies portant valeur et attestation de leur valeur. Les trouvailles archéologiques montrent qu’ils étaient en mesure de produire des pièces de très petites tailles sans que les symboles portant preuve de l’authenticité de ces monnaies soient mis en défaut.

 

En quoi y a-t-il eu réellement « cassure » ? La « cassure » réside dans ce simple fait que la pièce de monnaie telle qu’elle était émise par une autorité « de confiance », le souverain en la circonstance, substituait à la croyance dans la vertu des temples et des prêtres, une confiance dans les procédures de fabrication physique de pièces standardisées. L’instrument monétaire, la pièce estampée d’une valeur monétaire définie, signée par un tiers de confiance indubitable, prenait la place de tous les temples, de tous les prêtres et de toutes les moyens de transcription des dettes et des créances.

 

La « cassure » réside en cela qu’il n’était plus besoin de faire appel à un tiers de confiance « assermenté », un prêtre, un scribe ou un devin pour « valider » l’acte monétaire. Il suffisait qu’un tiers de confiance nommé « le souverain » déclare via l’estampage qu’il acceptait l’instrument pour paiement de ses propres créances et qu’il suffirait, non pas de lui porter des pesées de métal, qu’on repèserait et qu’on vérifierait aussi intensément qu’on le jugerait nécessaire, mais des monnaies qu’il suffirait de dénombrer sans autre forme de procès. Mille pièces valent « tant » par ce que chaque pièce multipliée par un nombre donne « tant ».

 

Concrètement, cela signifie qu’on remplace l’homme par une procédure, le prêtre par la technique du monnayage. Ce qui dépendait de l’opinion construite d’un homme et/ou de l’institution à laquelle il appartenait quittait ces sphères de la confiance dans les hommes parce qu’il y avait de la croyance dans les dieux, pour rejoindre celles de la croyance dans les procédures qui produisent de la confiance parmi les hommes.

 

Et alors ? risquera-t-on. Quel sens pour notre temps ?

 

Il se passe dans notre temps que cette même cassure est à l’œuvre. Les tiers de confiance de l’ancien temps battent en retraite devant l’émergence de nouveaux acteurs. Quand il s’agit de la monnaie, cette cassure prend la dimension d’un drame antique. Il y a bien longtemps que le tiers de confiance ne bat plus monnaie, il se contente de l’émettre, en recueillant l’assentiment de tous. Tant qu’il ne se casse pas la figure, on le croit fort et intègre, et on se confie à lui.

 

Mais, aujourd’hui, le monde de la confiance se délite et les machines viennent jouer leur partie.

 

La monnaie est-elle un tiers de confiance ?

 

 

 

Pour suivre le précédent article sur le « tiers de confiance »

 

Cette expression : « tiers de confiance » n’est pas à proprement parler française même si elle n’est pas inconnue de nos juristes et autres parties au formatage  des transactions quelles qu’elles soient.

 

Il ne faudrait pourtant pas tout confondre dans un de ces mélanges que la pensée moderne adore: on en parle beaucoup pour parler de la monnaie, mais creusant ce thème dans ce contexte, on s’aperçoit nécessairement que la monnaie n’est qu’une application parmi d’autres d’une conception plus générale.

 

Le tiers de confiance n’est pas un deus ex machina

 

Lorsqu’on a évoqué les techniques monétaires de l’antiquité où, dans certaines zones économiques et politiques, le tiers de confiance traditionnel, le temple (sous ses multiples versions de la (les divinités) et ses serviteurs se sont vus sinon substitués, au moins concurrencés par le souverain et sa monnaie, on n’a considéré qu’une « facette » de la vie économique et sociale : l’apurement des dettes et des créances.

 

Or, la mission du tiers de confiance est beaucoup plus large que pris au strict sens monétaire. Parmi les découvertes fort anciennes de tablettes en argile dans l’univers mésopotamien ou les papyrus de l’univers égyptien, outre les transcriptions de prières, d’incantations, de livres religieux, on a trouvé des livres de compte. D’aucuns prétendent même que l’écriture se serait d’autant plus développée que cette innovation technologique trouvait des applications très solides dans l’univers des échanges.

 

Ici, le tiers de confiance, c’est le teneur de livres. Pourquoi remonter si loin quand nous verrons un peu plus loin qu’il s’agit d’arriver aux techniques numériques ? Simplement parce qu’avant toute compensation de dettes et de créances, l’essentiel, très tôt a résidé dans la sécurisation des acteurs, de leurs opérations et des traces qu’elles laissaient.

 

Ici, le tiers de confiance n’est pas celui qui noue la transaction au sens où il va en rédiger les conditions. C’est celui qui relève qu’il y a bien eu transaction, qui reconnait les parties à la transaction, qui constate et atteste du sens de cette transaction et transcrit ce sens, en affectant à telle partie tel solde et dans quel sens. Ce n’est donc pas un simple « teneur de compte » même si des « tiers de confiance » modernes considèrent qu’un aspect essentiel de ce métier consiste en la tenue des « doit » et des « avoirs ». Le tiers de confiance n’est donc pas un deus ex-machina qui présiderait à la transaction par une quelconque autorité, mais il n’est pas non plus un pur scribe qui « constate » une opération.

 

Sa mission est de « figer » la transaction et d’en faire un objet juridico-économique « fixé » conférant à un créancier attesté la possibilité de transporter ce statut chez un autre créancier. Le « tiers de confiance » deviendra cette personne qui s’assure que le transfert de la créance enregistrée et indiscutable s’est fait dans les règles. De ce « teneur de livre intelligent » dépendra en définitive que les dettes et les créances circulent et s’apurent dans le cours du temps.

 

Les « scribes » d’un temple égyptien ressembleraient, dans ces conditions, de très près aux tiers de confiance traditionnels de l’économie moderne, avec une nuance de taille : dans ce dernier cas, la mission de tiers de confiance a été progressivement éclatée en sous-missions spécialisées, reflétant une division du travail « de confiance » qui ne pouvait pas être concevable dans l’antiquité. Dans ce contexte, ne peut-on pas concevoir que l’invention de la monnaie est venue empiéter sur le domaine des temples dans ce domaine très particulier du « tiers de confiance » ?

 

Il ne faut pas le penser : la monnaie est venue « écorner » le statut et la mission du tiers de confiance toutefois, s’appuyant sur les conditions de fond « confiance et croyance » qui sont les piliers de ce dernier, la monnaie n’est apparue que pour une seule et unique raison : la liquidité des transactions.

 

La monnaie « tiers de confiance » ?

L’expression a l’allure d’une provocation ? peut-on confier à une « chose » la mission d’identifier, vérifier, attester, témoigner, authentifier de façon indépendante, autonome et « souveraine » ? On verra un peu plus loin que c’est pourtant bien ce que les défenseurs de la Blockchain suggèrent directement ou indirectement. Pour ce qui est de la bonne vieille monnaie, celle en or par exemple, en argent pourquoi pas et, beaucoup plus tard en billets ou en dépôts bancaires, pourquoi mentionner un rôle de tiers de confiance ? C’est que l’invention de la monnaie a permis de condenser en une seule forme plusieurs aspects de la mission du tiers de confiance. Le fait pour un débiteur d’apurer sa dette (payer ce qu’il vient d’acheter, ou apurer un terme de paiement, ou rembourser un emprunt) par le moyen de cet « objet » qu’est la monnaie, évite de passer par la case « compensation de créances » au sens littéral du terme, soit user d’une créance inscrite sur un livre de compte pour réduire une dette inscrite sur le livre d’un autre. Ainsi s’économise-t-on toute une série d’interventions relevant de la mission du tiers de confiance : Vérification de l’état des créances, de leur fongibilité, de leur réalité, de l’identité du détenteur ; vérification de la dette à apurer, de ses termes et conditions etc… Quand on lit ce que cryptographie veut dire dans l’univers moderne, ce qu’on vient de lister est très restreint…

 

La détention d’une encaisse monétaire n’instaure pas le règne d’un nouveau tiers de confiance, mais une contraction du temps de la compensation et une indépendance de son exécution au regard des autorités civiles et religieuses. Quand on évoquera la question du Bitcoin et des monnaies cryptées, on sera conduit à constater que ces « monnaies » sont basiquement des articles de comptes. Elles « fonctionnent » parce qu’elles sont disponibles instantanément : la fonction de liquidité de la monnaie n’est pas évoquée car les monnaies cryptées fonctionnent dans un univers sans délai, comme un livre de compte dont on ne peut rien sortir qui ne soit préexistant et dont le mécanisme de paiement exclut tout autre délai que celui des routines de transcriptions. Les monnaies cryptées fonctionnent en s’appuyant, comme condition essentielle, sur des mécanismes de type « tiers de confiance ».

 

L’invention de la monnaie conduisit à la création d’un instrument de compensation « signé » qui n’avait à subir aucune vérification ou attestation autre que celle, technologique, qui consiste à s’assurer que les métaux, les poids, les titres, les mentions étaient conformes à un modèle pré-imposé, « à l’état de l’art ». Il est vrai que le rôle du tiers de confiance fut singulièrement écorné dans le domaine des transactions commerciales : support anonyme par excellence, la monnaie singée rendit les transactions commerciales ou fiscales, abstraites et pures de toutes influences extérieures. Elle évacuait la question de la détention des avoirs en leur substituant la réponse par la détention de la liquidité.

 

Cet aspect de la monnaie se révèlera progressivement indépendant de ce dont elle est faite. L’or ou quelques supports métalliques auront bien toutes les caractéristiques dont on vient de faire l’exposé, mais, plus tard le billet de banque les récupèrera puis la monnaie scripturale, peut-être mieux nommée en « monnaie de dépôt ».

 

On a cité à plusieurs reprises l’irruption des nouvelles technologies, du cryptage et des monnaies cryptées. Or, justement, le cryptage et les techniques sur lesquelles il s’appuie sont de l’ordre de l’assertion de la confiance. Cela conduit assez souvent à confondre monnaies cryptées et Tiers de confiance, revenant en arrière sur l’histoire de la séparation de ce dernier avec la monnaie.

 

Prochain article : le grand livre et les monnaies cryptées

 

 

 

 

 

 

 


 Dans la bataille des monnaies numériques souveraines, la Chine fait la course en tête

 

 

 

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