Méditations sur le travail d’une photographe inconnue

 

 

 

Certains sont dotés d’une excellente oreille et quelques fois de ce qu’on nomme l’oreille absolue, d’autres ont le sens de l’odorat poussé au point qu’ils savent composer des fragrances, des parfums et rendre à l’air sa densité, d’autres enfin ont un sens exceptionnel de l’équilibre et des formes. Ils font d’une pierre une danse, une pensée ou un baiser. Il faudrait ajouter à tous ceux-là, les inspirés du goût, du geste…

D’autres enfin ont la chance de savoir voir. Pas regarder : voir. C’est-à-dire faire venir à la vue. On dit souvent qu’on ne voit pas ce qui n’a pas été montré. Dit autrement : on ne voit pas ce qu’on n’a jamais vu. Formule tautologique qui dit pourtant si vraiment qu’on peut passer à côté de ce qu’il fallait voir, qui était visible, mais qu’on ne verra pas. L’enfant qui agonise, le Rembrandt empoussiéré sorti d’une malle fermée depuis un ou deux ou siècles, le pan de mur jaune, les tâches sur le soleil. On peut passer à côté. On a regardé. On n’a pas vu.

 

Les images que Marion Mallet pose sur Facebook donnent une idée de ce que « voir », « faire venir à la vue », "montrer aux regardeurs" veut dire . Je ne sais pas vraiment qui elle est ni d’où elle vient. (Sur facebook, elle viendrait de Pau et elle aurait suivi une formation en art). Et au fond, quitte à la vexer, je n’en ai cure. Je me répéterai une fois de plus en disant comme Proust dans « contre Sainte-Beuve » que connaître l’artiste, ses joies, ses peines, ses amours, son terreau, sa famille etc., n’a absolument aucun intérêt si ce n’est au regard de la généalogie de l’art laquelle ne parle de l’artiste que lorsque celui-ci est sorti de la masse anonyme des artistes, quand il est devenu célèbre, c’est-à-dire quand il a réussi à montrer ce qu’il fallait voir, quand il a surtout réussi à faire voir ce qu’il fallait voir.

 

Commenter les photographies de Marion Mallet est de ce fait un exercice de critique passionnant. Elle n’est pas encore dans les grandes ventes internationales. Je ne l’ai pas vue sur les cimaises du saint des saints de la photo parisienne, la MEP, ni au jeu de Paume. Donc, pas connue. Sauf de quelques admirateurs sur facebook. Je ne serai pas encombré de commentaires ou d’opinions diverses.

 

Marion Mallet photographie et publie ses photos sur facebook. Ce qui signifie qu’elle veut qu’on les voie. Je les vois régulièrement et je les trouve souvent très réussies. Au point qu’il me souvient de lui avoir demandé si elle exposait. Pourquoi s’arrêter sur des photos qui ne sont pas « cotées ». Bonne question, sachant que sur Facebook, les photos, comme les petits morceaux de musique, sont légion et, dans beaucoup de cas, sans aucun intérêt. Au point que j’avais même eu l’idée de les enregistrer (les photos sans intérêts, mais pas toutes, cela aurait fait trop!) pour en tirer des leçons sur le thème de l’obsession photographique. Les photos de Marion Mallet sont très intéressantes. Justement parce qu’elle n’est pas connue? S’agirait-il de pouvoir proclamer : une étoile est née ? Ou de pouvoir s’enorgueillir d’être parmi les premiers à avoir « détecté » un talent ? Il s’agit ici du plaisir de partager des moments agréables et d’appeler d’autres regardeurs à la rencontre avec ce que la photographe a vu et qu’elle montre.

 

-        La première chose qui m’a frappée dans les photos de Marion Mallet : un regard sûr. Sa formation peut-être ? Peu importe. Elle manie son appareil de sorte que ce qui est donné à voir est déjà maturé. Ce n’est pas de la stylo-photo. Elle n’arrache pas l’image au monde qui l’entoure. Elle ne shoote pas. Elle cadre. Et c’est très bien fait. On dira que c’est une forme de politesse à l’égard du regardeur. Elle ne balance pas des images comme on donnerait un coup de pied dans une bouteille en plastique qui traîne. Elle offre à voir ce qu’elle a vue comme un bel objet qu’elle aurait fait émerger d’un morceau d’argile. On insiste trop souvent sur le caractère « nombriliste, autiste, égocentrique » des artistes. On n’insiste pas assez sur leur désir d’aller vers les autres, de montrer, démontrer, affirmer, soutenir. Cadrer impeccablement, c’est mieux que mettre en page, c’est annoncer qu’on veut faire venir au regard dans les meilleures conditions de vision. C’est offrir de voir au regardeur en le rendant bien intentionné. Regardez toutes les photos de la galerie que j’ai arrachées au « réseau » et vous en serez impressionné.

 

-        Deuxième qualité : le sens de la présence au monde. C’est grandiloquent comme formule, j’en conviens. Cela signifie pour moi que la photographe sait identifier des choses, des formes, des couleurs et leur faire tenir le rôle qu’elle leur découvre. C’est une forme d’intensité du regard. Pourquoi isoler un drap, chiffonné, par terre, dans un paysage de campagne. Parce que ce drap appelle à penser, rêver, s’attrister ; ce serait un corps, ce serait un mort, ce serait un moment de bonheur piétiné . Ce drap appartient au même univers que le caoutchouc (si cette plante est un caoutchouc !) abandonné, à demi-mort dans l’encoignure d’une fenêtre qui laisse penser à celle d'une église. Ou bien ces combinaisons abstraites tirées d’un dallage ; elles disent qu’il n’y a pas que dans la peinture abstraite qu’on peut voir des combinaisons de couleurs et de formes sans autre raison que le choix de l’artiste. Elles disent aussi que l’abstraction est bien réelle, la preuve, c’est qu’on peut en photographier des exemples dans la nature ! C’est dire que Malevitch ou Mondrian sont là parmi nous et c’est les faire venir à notre vue, à nous qui marchons dessus sans nous en rendre compte.

 

-        Troisième qualité : le sens du conte, de la narration, de l’histoire qui vient, qu’on extrait de formes, de constructions, des taches ou de miroirs. Le plus bel exemple : une image où les perspectives se dédoublent, se détriplent, une fenêtre miroir renvoie une image qui pourrait être celle d’une vedutte à l’italienne. Une photo très belle : une devanture où des rideaux pendent, on ne sait pas si théâtre il y a eu, si un drame s’est déroulé, si une décrépitude s’est installée. On se prend à penser que la photo est simple et le discours triste. Il faut aussi regarder cette photo où quelques ombres, forment à leur évocation, un mystère.

 

-        Quatrième qualité : le goût pour la matière, on l’a commenté dans l’exemple de cette photo de pavement. Il faut aussi noter, ces écorchures de mur, ces revêtements qui parlent de mondes en décomposition ou en danger. Et cette vitre, gris-beige, cloisonnée comme un Mondrian, étoilée sous un choc, qui renvoie à des fantômes d’arbres. Matière bâtie, comme le sont ces pans de murs, qui proposent un décor involontaire aux tribulations des regardeurs.

 

Donc, tout serait bien dans ce travail de photographe.

 

Heureusement, il y a place pour beaucoup de travail encore. Peut-être parce que photographier est une deuxième nature pour la photographe dont le regard est si affûté qu’il lui est possible d’engager un discours, une relation avec ce qui est autour d’elle, quoi que ce soit. Car cette passion de la photo est là aussi dans le plaisir mais aussi la peine, à être envahie par des images qui exigent d’être vues et montrées !

Il y a place aussi pour les renonciations : souvenez-vous de Cocteau. "Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de renvoyer les images". Parfois, dans ce que montre Marion Mallet, se trouvent des images qui n’étaient pas nécessaires. Ce qu’elle avait vu l’avait déjà été. Des passages pour piéton, bien cadrés avec une sorte d’ectoplasme qui s’y inscrit. Un immeuble bleu dans une mise en page trop évidente. Une danse qui ne remue rien. Un pan de mur trop propre sur lui….

Ce ne sont pas de mauvaises photos. Ce sont des images de regardeurs. Ils ont vu de ces images et savent les reconnaître quand on leur en montre des répliques.

 

Mais, c’est peut-être oublier que l’art n’est pas facile et que la critique…. 

 Dans la bataille des monnaies numériques souveraines, la Chine fait la course en tête

 

 

 

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