Baselitz

Sculptures, une exposition du Musées d'Art Moderne de la Ville de Paris

Jusqu'au 29 janvier 2012

 

Les artistes allemands de la génération d’après-guerre, ceux aussi qui la suivent, parmi les artistes du monde entier, sont ceux qui ont eu le plus à dire et qui ont eu, davantage que les autres, le droit de dire quelque chose. Lorsqu’on vient d’un pays qui est devenu l’image du mal. Lorsqu’on est né dans un pays qui, dans ses accents, dans ses vêtements et dans ses passions est devenu le symbole du mal en action ; lorsqu’on est né après que le pays auquel on appartient a été reconnu coupable du pire, on est en droit de parler et de hurler la double horreur qu’il faut vivre, celle d’avoir été enfanté par un monstre et celle qui fait que le monde vous regarde comme un monstre.

 

Regardant un vieux film où «  l’Allemand d’Après-Guerre », celui de la casquette nazie et des passementeries en forme de tête de mort, était déjà bien élaboré, écoutant l’accent « tudesque » d’un personnage Allemand rudoyer le français, marquant par là que toute langue parlée avec un accent de salaud devient détestable, je cauchemardais ce que devait être une vie de jeune allemand prisonnier de sa langue. Le seul fait de parler allemand induisait qu’il était un coupable et un salaud. Il était finalement plus grave d’être un fils de salaud qu’un salaud tout court. Le salaud, savait peut-être pourquoi il s’était comporté en salaud ! Le fils de salaud, lui, restait là, salaud par la génétique, par immanence, naturellement salaud, sans avoir d’autre choix que de l’être, au surplus impuni et, pour le demeurer, plus scandaleux encore.

Je décrypte souvent l’art allemand de la seconde moitié du XXème siècle avec ces codes et ces cauchemars-là. Bazelitz, Lûpperz, Kieffer et les autres en sont les géants. Ils ont voulu crier ce qu’être Allemand après la Guerre, voulait dire ! Après l’horreur surtout, après l’effondrement de ce qu’il y a de beau et de fort dans la pensée, la culture et l’art allemands. Ils ne pouvaient pas le dire en peintures ni en sculptures aimables, ou charmantes ou belles. Petits formats à regarder à la loupe, peintures de paysages reposés ou, pourquoi pas, romantiques. Leurs œuvres devaient être des blessures encore ouvertes, leurs pensées, des os brisés, leurs regards, ceux qui sont jetés par des yeux arrachés. Ces œuvres venaient de tous ceux-là, les enfants de l’après-guerre, à qui on demandait sans cesse de témoigner des choses qu’ils n’avaient pas vues, d’assumer les évènements qu’ils n’avaient pas voulus et de taire toutes les plaintes venues de la trahison des valeurs et des forces d’une société qu’ils n’avaient pas connues.

 

L’exposition des sculptures de Baselitz au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris est à cet égard exemplaire. Par la qualité des œuvres d’abord, par l’importance que revêt ce pan considérable de son œuvre. Elles sont à l’endroit, les sculptures de Baselitz, à l’encontre de nombre de ses portraits. C’est une chose qui frappe lorsqu’on va et vient entre les statues, les têtes, les membres, depuis un bout de l’exposition vers l’autre. Le renversement des œuvres, leur retournement n’est plus ici nécessaire pour démontrer l’inversion du sens et la renonciation à dire les choses selon les codes habituels. Elles sont en bois pour le droit que cette matière laisse à l’homme de la violenter, de la frapper et de la déchiqueter sans qu’elle ne perde rien d’elle-même, quoi qu’il lui soit ôté, arraché, découpé. Bien au contraire, plus que le marbre ou la pierre, le bois martyrisé retient les coups, les coupes, les déchirements à la scie, les arrachements des ciseaux, les défoncements au maillet. Il les rend plus forts : émotions, expressions, souffrances, apaisements.

 

On a évoqué l’art Africain. Baselitz en serait un collectionneur et un admirateur. Comme Picasso, n’est-ce pas, et comme tant d’autres qui sont allés y retrouver les formes qu’ils pensaient avoir perdues depuis des temps immémoriaux ? Pourtant, je ne suis pas convaincu que l’art de Bazelitz soit en quoi que ce soit à rapprocher de celui de quelque artisan africain. L’aspect massif, la taille gigantesque des statues, des visages, des membres rendent cette comparaison superflue. On devrait citer les Grecs et les Romains qui, suivant en cela Egyptiens et mésopotamiens, ont mis le gigantisme au service de l’expression artistique. Ce sont eux qui ont inventé que le « montrer en Grand » transcende la parole et permet d’interpeller les dieux.

 

« Dans le fond toutes ces sculptures sont empreintes d’une haute culture. Elles sont très loin de la forme naturelle , ce sont des inventions (baselitz 1983) ».

 

Les « penseurs » (autoportraits) de Baselitz, assis, casquette vissée sur la tête et tête appuyée sur la main, sont-ils pensants ou les gardiens ambigus de quelques Persépolis contemporaines. Affalés penseurs, mâles aux chaussures à talon, affublés de grand chapeaux ou de chignons casquettes, les gardiens sont fatigués et se grattent la tête. Quand la dimension est surhumaine, le message est-il nécessairement celui des dieux et des idées universelles ? Le Gigantisme de ces formes en bois invoque-il, comme les grands Staline et les Mao gigantesques, l’éternité ou l’écrasement du présent ? La Sculpture « Meine neue Mûtze » (ma nouvelle casquette), en forme de garçonnet monstrueux de quatre mètres de haut, représente-t-elle, elle aussi, « un gardien » ? Baselitz démontre ici qu’un garçonnet gigantesque conserve toujours son statut de garçonnet à casquette et, ne peut raconter, autre chose que des histoires sans sens, sans queue ni tête, comme les statues colossales des héros totalitaires.

 

Par la taille gigantesque de ses statues, par le matériau utilisé, Bazelitz renvoie à une statuaire d’invocation. Le colosse d’Alexandrie était un phare. Ce sont des phares pour l’humanité que l’Allemand installe et dont il subvertit le sens, des phares faits de gueules cassées, visages écrabouillés, mains dessinées à la scie électrique, pieds coupés à coups de hache. Monuments dédiés à l’humanité, gigantesques balises qui n’envoient pas un rai de lumière pour guider mais une lumière noire pour avertir. Au David de Michel Ange qui nous parlait d’un homme à l’égal des dieux, Baselitz répond par des formes à l’image du néant.

 

Au beau milieu du parcours de l’exposition, sont posées, en groupe compact et fort, les « femmes de Dresde ». Si le gigantisme des sculptures renvoie aux phares, les têtes, gigantesques de ces femmes, mais pourtant à notre mesure, renvoie à cette idée de balises disposées sur le chemin de vie que nous empruntons. Sublime jaune violent, dont on nous dit qu’il est là posé sur les sculptures pour en atténuer les violences… Quelle étrange idée que de conférer à un jaune strident, la vertu de l’apaisement ! Au contraire, effaçant fausses ombres, couleurs des veines du bois ou, tout simplement, effets de matières après le passage du ciseau et de la scie, cette couleur jaune renvoie à l’expressionisme allemand. Elle est ici posée comme un haut parleur devant des bouches hurlantes, devant ces têtes en creux et bosses, en faces défoncées, déchirées, renvoyée à l’inhumanité. Hurlements figés, pleurs vaporisés, les visages de ces femmes ne peuvent plus rien dire. Les « Femmes de Dresde » sont-elles les restes de corps jetés dans la fournaise du pire des bombardements ? Sont-elles des monuments ou le dire d’un vide ? Néant massif succédant à la vaporisation des corps qui oppose sa pesanteur pour dire plus fort qu’il n’y a plus rien, ni la beauté, ni la laideur..

 

Les formes sont déformées. Le sourire de «  la rieuse Carla » est figé dans ce jaune, couleur de souffre avant incendie. Leurs Orbites creuses regardent sans paix et nous envoient des regards sans yeux. Sous leur poids et leur intensité peut-on être spectateur ? Mon regard s’abaisse. Contempler l’innommable ? Pourtant, il me vient ce sentiment que l’humanité de la « rieuse, Carla », parvient à s’imposer, malgré l’incendie et les cendres, par la magie du bois et des coups de hache.

 

"J’ai toujours suivi une idée qui se termine autrement." (Baselitz)

 

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