Soliloque sur le Vaste Monde, octobre 2023

L’extrême violence, une anthropophagie ?

Le livre conduit-il à l’avènement de la femme ?

L’artiste est-il visionnaire ou commerçant ?

Le terrorisme commence avec une victime

Le Collège de Monsieur Paty

L’extrême violence, une anthropophagie ?

 

 

Bientôt comme avant et pour toujours

Prévaudra cette loi

Qu’aucun excès n’entre

Dans une vie humaine sans la perdition.

Sophocle 

 

L’essentiel n’est pas invisible

 

Les « héros » du Hamas se sont comportés comme de purs salauds, bruts sanguinaires jouissant de multiplier les atrocités. Le terrorisme c’est la terreur en action, comme méthode et comme objectif, et la terreur vient du spectacle des atrocités. La terreur vient aussi de ce que des humains voient d’autres humains perpétrer sous leurs yeux et dans leurs chairs des actes atroces et comprennent que ce ne sont pas là des débordements insensés, mais sont le fruit d’une volonté de déverser l’horreur et d’une pensée lucide qui la guide.

 

La terreur est une pure réaction d’incompréhension de la part d’humains face à ce qu’ils ne pensaient pas concevables en tant qu’actes venant d’humains. C’est l’effroi qui saisit un homme, une femme devant la transformation d’un homme, une femme en une inhumanité, en un non-être. C’est l’épouvante devant la noirceur du vide d’humanité.

Face à cette inhumanité, on assiste à toute la gamme des sentiments humains mais aussi inhumains. On a vu qu’il était commode de prétendre que tout ceci était lointain, trop lointain pour qu’on s’y attache vraiment. Des films et des images avaient été prises. On a entendu que ces images et ces récits n’étaient pas possibles et n’étaient mensonges et mises en scène. Mais, dans ce flot de pensées molles, il y a ce que j’ai trouvé le moins compréhensible : ces scènes ayant été filmées, il a paru que le spectacle des images serait insupportable et qu’il valait mieux raconter que montrer. Ames sensibles, passez votre chemin ! Plutôt que d’ouvrir vos yeux contentez-vous de ce que vos oreilles vous rapportent.

 

Quelle erreur ! L’humain doit-il être protégé contre l’idée même de l’inhumain, contre ses manifestations, contre les images qui les montrent ? Pourtant, si on en cache les images, qui comprendra que l’inhumain, le non-être, le vide moral, sont possibles. Combien de temps a-t-il fallu à la conscience française pour qu’elle s’éveillât à l’inhumanité des camps d’extermination ? Ne fallut-il pas qu’un film, « Nuit et Brouillard », dessillât des hommes et des femmes tranquillement installés dans le confort des choses ignorées. Combien de temps a-t-il fallu pour que, rentrés chez eux, les braves soldats de la Wehrmacht, tranquilles citoyens emportés par hasard dans la fournaise de la guerre, se rendissent compte qu’ils avaient accepté de participer à des massacres de juifs, de polonais, de tsiganes. Quand l’inhumanité est insupportable fermer les yeux et dormir sont des solutions efficaces.

 

Ecoutant un excellent journaliste énoncer d’une voix émue et tremblante l’horreur de ce qu’on lui avait montré, je me suis demandé s’il était normal que ce fut lui, homme humain, qui souffrît de l’horreur inhumaine. Je me suis souvenu de ces soldats américains découvrant l’horreur des camps d’extermination allemands et qui, dans un mouvement instinctif, avait fait défiler les sages et conformes citoyens allemands de la ville voisine devant les empilements de morts, les entassements de squelettes et devant ces êtres, tenant à peine debout, qui se demandaient, pour avoir vécu dans l’atrocité et l’horreur, s’ils avaient vraiment droit au qualificatif d’humain.

 

Je me souvins aussi d’Orange Mécanique quand Kubrick, pour les rééduquer, faisait subir aux voyous le spectacle de films insupportablement inhumains.

 

L’inhumain ne fait pas mal quand on ne se sent pas concerné. Il est même supportable de loin si on trouve de bonnes raisons à l’atrocité. Il est toujours acceptable quand il est à portée de rire et de bons mots. En revanche, contraindre à tenir les yeux ouverts face aux images, aux films, face à l’horreur, fait tomber ces commodes protections : quand on ne veut pas parler on dit que c’est indicible, quand on ne veut pas entendre, on dit que c’est inaudible, et ça passe… Quand on ne veut pas voir, on n’ose pas dire que c’est invisible.

 

Il faut que la bienséance des images cachées soit abandonnée. Il faut que l’horreur et l’abjection aient non seulement des noms mais aussi et surtout des images.

 

 

Il faut que toutes populations confondues, palestiniens, israéliens, européens, américains, aient vu que l’inhumain est possible, qu’ils l’aient ressenti dans leurs yeux, c’est-à-dire dans leurs cerveaux et peut-être dans leurs âmes. 

Le Collège de Monsieur Paty

 

Ce documentaire sera diffusé le 17 octobre à 21:10 sur France 2

 

Il faut absolument le voir. Deux raisons,

-          la tragédie qui s’est jouée, avec comme victime Samuel Paty, professeur d’Histoire et de géographie au collège Bois-d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine.

-          L’impact de l’horreur sur les collégiens et leurs professeurs.

 

De « l’évènement » lui-même rien ne sera dit. Seule une phrase, courte exprimera l’assassinat du professeur après une véritable campagne de haine et d’appel au meurtre.

 

La tragédie est classique, unité de lieu : le collège et lui seul, avec ses grilles et ses classes. Les protagonistes sont des élèves qui ont accepté d’entrer dans le processus de la parole. Le temps est aboli. On pourrait penser que le documentaire s’étire tout au long d’une longue journée.

 

Le documentaire s’attache à faire jaillir et voir la parole autour et dans cette tragédie. Parole non dite, parce qu’on préfère oublier. Parole dite et répétée et sanglotée qui ne libère pas. Parole enfin de prise de conscience et de reconstruction.

 

Comment peut-on enseigner quand un professeur est dénoncé et abattu par les élèves mêmes ?

 

Peut-on oublier ou faire semblant d’oublier, sachant que ce qui a tué peut tuer à nouveau et que la fragile confiance qui relie des enfants et des adultes, peut se briser pour rien ou à peu prés.

Et puis, la monstruosité de l’assassinat ne conduit-elle pas, les enfants davantage que les adultes à vouloir la refouler, l’occulter et l’effacer dans des postures mutiques.

 

Le documentaire n’est jamais détourné en dénonciations ou en imprécations au nom de la liberté de penser ou au contraire au nom du devoir de se taire parce que certaines pensées sont interdites. Pas de poses ni attitudes sentimentales et sensibles.

 

C’est une extraordinaire leçon de respect et d’attention portée aux autres.

 

C’est aussi une leçon qui porte et une parole qui libère.

Le livre conduit-il à l’avènement de la femme ?

 

La bonne lecture apprivoise

 

Peter Slodertijk

 

Librum est, non legitur

 

Si les moines copistes du moyen âge maniaient à peu près correctement le latin, ils n’étaient, en général, pas du tout à l’aise avec un texte grec. Aussi annotaient-ils en marge de ce texte : « graecum est non legitur ». (c'est du grec, on ne le lit pas).

Dans la mesure du possible, quand les rames de métro ne sont pas pareilles à des boîtes de sardine, j’aime y observer mes contemporains. Discrètement evidemment car on sait de nos jours qu’il faut se méfier des mauvais regards, ceux qui froissent et sont nécessairement hostiles tant il est vrai que dans de nombreuses cultures étrangères (et dans le métro, on les rassemble en nombre) on ne se regarde pas. Aussi est-il préférable de prendre l’habitude de laisser traîner son regard comme, en bateau, on laisse courir une traine pour pécher le bar. On apprend à saisir le vif sur le vif, et à capter vite des instants de vie, des bulles de tranquillité, des rèves qui sourient, des soucis qui assombrissent.

On peut même faire un peu de sociologie appliquée. On peut émettre des propositions générales à partir d’observations répétées, à condition de changer de ligne de métro pour qu’il y ait de l’objectivité. L’observation vers laquelle je veux vous mener est la suivante : dans une rame de métro, quelle qu’elle soit, les femmes lisent des livres, les hommes se remplissent les oreilles de sons ou les yeux de jeux vidéo.

Ce n’est pas une observation innocente. Cela tendrait à démontrer que les femmes s’inscrivent dans un temps privé et long, qui leur appartient où qu’elles se trouvent, et forme une sorte de rempart, celui de la lecture des livres, quand les hommes ne parviennent pas à s’extraire de l’instant, deux minutes et demie d’un morceau de musique, cinq minutes « d’un shoot them up ». Les livres leurs seraient devenus du grec « qu’on ne lit pas ».

Lire, on le sait (pour ceux qui pratiquent cet excercice mental) c’est élire domicile dans un autre espace-temps, plus lent, plus vaste car les mots ne s’annonent pas, ils se goûtent, se mélangent et créent furtivement d’autres ouvertures vers d’autres espaces-temps. Ainsi, le temps long de la lecture s’oppose au temps instantané du jeu vidéo. Ce dernier, en vérité, est une négation de l’idée que le temps court et se déroule sans fin. Le parfait instrument de cette négation c’est la touche « Replay » : quand on est tombé dans le ravin, quand on a été vaporisé par l’épée laser de son adversaire, quand on a perdu, quand on est mort, on peut faire replay. « Replay », c’est comme « rewind », le temps est effacé au mieux, au pire, on lui a fait faire un rétropédalage.

Comme tout ceci se déroule dans le métro et qu’on peut, sur la base de ces observations « underground », reporter son regard vers le sol, où il y a plein de pieds ou vers le tunnel où il y a plein de noir, il n’est pas impossible de se prendre à philosopher. Et donc…

Les femmes, inscrites dans le temps et son déroulement successif, auraient légitimement envahi les métiers de l’éducation, de la médecine, de la magistrature qui s’attachent à la production, la protection et la cohésion de l’homme : de fait, la production de l’Homo, son apprivoisement au sein de la société, son enracinement dans l’humain requièrent un temps long.  

Le temps d’un trajet, j’en suis parfois venu à me demander si nous ne sommes pas à la veille d'un coup d’éclat qui serait un coup d’état civilisationnel et qu’on résumerait dans cette injonction intimée à l’homme : « Va jouer ailleurs et laisse moi travailler ! » renfermant l’homme dans l’instant sans passé, sans avenir, le répètant en boucle, replay effacer le passé quand il est déplaisant et return, pour n’avoir pas à prendre les responsabilités que l’avenir entraîne.

 

Le romantique allemand, Jean-Paul, a dit que les livres sont de grosses lettres écrites aux amis. Ne lisant plus, l’homme accaparé par l’instant a perdu le sens du temps long, celui dans lequel se déploie l’amitié. 

L’artiste est-il visionnaire ou commerçant ?

 

 

L’art est la mise en œuvre de la vérité.

Martin Heidegger

 

 

 

Les veillées funèbres ont leur charme

 

 Le film documentaire de Wim Wenders sur Anselm Kiefer est un moment exceptionnel. Il met en valeur le travail et la personnalité d’un des plus grands artistes contemporains. On en dira quelques mots et surtout on renverra à une étude à laquelle l’auteur de cette lettre a consacré quelques pages. Il met aussi en valeur, l’incroyable fracture mentale qui déchire nos sociétés, celles qu’on nomme «occidentales ».

 

Le film sort au juste moment quand dans une espèce de satisfaction béate de ces sociétés mêmes, se déploie « la foire à l’art moderne « Paris + par Art Basel ». Quand les déchirures du monde se multiplient faisant se succéder massacres ignobles, tueries collectives, assassinats ciblés, l’Art contemporain, serein et satisfait, s’expose, se pavane et se fait aguicheur. « Il faut bien vendre, on est là pour ça », disent très clairement les exposants qui, les malheureux, doivent supporter les regardeurs qui visitent comme s’il s’agissait d’une exposition tout en se mêlant de façon incongrue aux collectionneurs qui viennent pour faire des emplettes.

 

J’ai cherché. Je n’ai pas trouvé d’œuvres d’Anselm Kieffer. En revanche, le monde marchand était bien là. Avec ses peintres sages comme des images et ses sculpteurs qui font souvent les rigolos. Parmi eux, tous ceux, pareils à Fontana, l’artiste qui déchire et troue les toiles avec des délicatesses de couturière. Il y avait l’art occidental du bout du monde avec l’inévitable Kapoor qui aime à tendre des miroirs au-delà desquels on ne peut pas regarder ou à éclabousser de rouge de grandes toiles blanches. (un jour peut-être aimera-t-il éclabousser de blanc de grandes toiles rouges). Ajoutons parmi les grandes nouveautés, une superbe sculpture de Maillol. Le monde d’il y a cent ans nous est contemporain pour autant que nous nous inscrivions dans le temps long. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas ici d’avoir aperçu un Picasso.

 

Idéalement, dans cette foire, il faut être sage et tranquille. Pen, livre un beau grand tableau qui ne fera plus de mal à personne ; De Staël, qui pourtant sait être grand, traîne, accroché à une cimaise, un grand flou de couleurs amorties. Enfin, Rothko est là pour inviter les regardeurs à la sérénité.

 

On m’objectera que tout n’est pas « rosy » contrairement à l’impression (mauvaise) que j’en donne. N’y-a-t-il pas un peu de Basquiat ? Et aussi on a ressorti quelques œuvres de Dubuffet qui grincent doucement et les œuvres des Allemands de service qui savent mieux que quiconque ce que villes détruites, corps disloqués et hurlements stridents veulent dire. Baselitz montre une jambe sculptée, dans l’esprit des femmes de Dresde, colorée de souffre. Lüpertz est là lui aussi (mais pas Immendorf… un oubli ? ). Il y a quand même des contemporains qui savent l’état de notre monde. Dans un recoin de la foire, on a pu voir deux œuvres de Miriam Cahn où la violence s’exprime sans frein et même, une œuvre de Dana Schutz, elle-même pas très tendre avec notre époque, l’une et l’autre plongeant les regardeurs dans leur monde qui s’effondre.

 

Résumons : rien de vraiment contemporain, s’il faut penser que contemporain implique qu’on s’intéresse à l’état du Monde. Cette foire reste sur l’élan de celles qui précédaient, émanant d’un univers que ne troublaient que quelques débats commerciaux, des interrogations sur les mauvaises choses qu’il fallait attendre de l’irruption d’internet et de vraies et solides inquiétudes sur les marchés financiers et bancaires. Faut-il s’en étonner puisqu’il s’agit d’une foire avec des étals où on met des choses à vendre ? Faut-il s’étonner que pareille foire se tienne à l’écart des tumultes du monde ? Est-ce son job que de s’émouvoir des violences d’aujourd’hui ?

 

Pendant ce temps, la mort rôde, les bâtiments s’effondrent, les sirènes hurlent, on évacue les aéroports.

 

 

 

Le terrorisme commence avec une victime

 

Dans quelques jours, c’est Halloween, les anglo-saxons joueront à se faire peur. C’est un jeu qui amuse beaucoup. La preuve, il se joue maintenant à peu près partout. Les enfants, acteurs principaux, vont de maisons en maisons, de portes en portes déguisés en personnages horrifiques. Ils vont justement terroriser, pour rire. Ils vont s’amuser à terroriser pour extorquer des bonbons, des friandises et des choses simplement sympathiques. Tout le monde se réjouira une nouvelle fois de ces terreurs, de ces monstres, de ces menaces qui auront déferlé toute une soirée et peut-être même une partie de la nuit. On sourira. Ces terreurs sont le terrain d’une étrange jouissance. C’est Halloween se répètera-t-on. Comme autrefois. Comme demain.

 

Mais aujourd’hui, comme hier, comme demain, ce n’est pas une farce qui frappe, portes après portes, maisons après maisons. Ce n’est pas un jeu à se faire peur. Ce n’est pas un jeu du tout. C’est la mort. Un documentaire récent, un professeur décapité, montre les ravages de l’horreur terroriste sur les consciences. Un autre, fait de documents historiques datant de la seconde guerre mondiale, montre des massacres de juifs, de polonais, hommes, femmes, enfants commis par des soldats allemands « monsieur tout le monde ». Au début, ils se sentaient vraiment mal. Ce n’était pas leur genre. Et puis, ils ont continué. Ils s’étaient habitués. Entre massacrer un homme et tirer des ours en peluche dans un stand à la foire, quelle différence ?

 

Le terrorisme, un mot, qui dit que l’homme peut être un jouet, une marchandise, une chose dont on peut faire ce qu’on veut. Terroriser, c’est s’offrir une jouissance. Un terroriste s’exposerait à des actions de rétorsions ? Il pourrait en mourir ? C’est ici que la jouissance est la plus profonde car, mort, le terroriste est un martyr, un homme au-dessus des hommes, et par cela, légitime dans l’horreur qu’il a répandue.

 

Le tchétchène d’Arras a voulu rompre les pactes sacrés de l’hospitalité au nom de cette légitimité du pire : l’homme au-dessus des hommes a le juste pouvoir de transformer tout homme en déchet et de l’éliminer, comme on doit le faire de tout déchet.

 

 

Halloween est bien loin. On ne peut pas jouer la terreur. Terroriser, c’est renvoyer l’humain dans les poubelles qu’il y ait des raisons ou non. 


 Dans la bataille des monnaies numériques souveraines, la Chine fait la course en tête

 

 

 

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