Soliloques sur l'Art, Décembre 2014

Humeurs 79, Est-ce du l'Art ou du l'Argent?

Je ne me suis pas encore rendu à la Grand-messe de l’Art, celle qui est concélébrée depuis quelques jours dans la Cathédrale de Paris, la nouvelle, celle qui montre l’art d’aujourd’hui, qui, parfois, se laisse aller à montrer l’art d’hier, mais en tout cas jamais, Ô grand jamais, l’art d’autrefois !

Donc, je ne suis pas encore allé voir Jeff Koons.

On dira que c’est pousser le bouchon un peu loin que de qualifier Beaubourg, le musée à Pompidou, cathédrale de l’art comme si ce pavé posé au beau milieu de Paris pouvait rivaliser avec la vraie cathédrale, celle où on s’en va chercher une intimité avec la divinité et se souvenir qu’on en est une part toute entière.

A ce compte, Jeff Koons ne serait-il pas à l’art ce que les Indulgences étaient à la vraie religion : l’argent leur serait commun, attaché à eux comme comme l’or au veau ! Il viendrait une objection aux puristes : L’argent sert aujourd’hui à acheter pour montrer qu’on a une âme quand autrefois il servait à racheter une âme qu’on ne pouvait plus montrer. Leur passion commune pour l’argent ne rendrait-elle pas cette différence très superficielle ?

Une société sans Art, n’est-elle pas une société sans âme ? On aurait tort de penser que le goût de l’art, l’aspiration à des émotions artistiques, le désir de se laisser porter vers d’autres mondes ou d’autres visions ne font pas partie du même mouvement que le désir d’un dieu (ou de plusieurs, tout dépend de la religion).

A quoi faudrait-il donc attribuer la course à la construction de musée si ce n’était pas le cas ?

L’art est donc important, si important que les nations couvrent la planète de musées.  Si nombreux qu’on en vient à penser que les contenants vont manquer de contenus. Il les faudra alors de plus en plus beaux, cela compensera. Ou bien, il faudra stimuler la production d’œuvres. On sait bien que lorsque l’offre n’est pas suffisante les prix augmentent : ainsi, les producteurs, attirés par des marges satisfaisantes, produisent.  

L’art n’échapperait donc pas aux lois du marché ?

Allons ! Il faut vite aller voir Jeff Koons, pour décider si c’est du l’art ou du marché.

NB :un nouveau magazine « papier », vient de sortir avec pour thème la "Place de l’Art" . Il est possible qu'on y parle de Jeff Koons, il est certain qu'on y parle de Marché, je suis sûr qu'on y parle de l'argent, mais pas pour en dire du bien. Personne n'est parfait. Pour vous procurer ce numéro 1, il faut se rendre sujr le site de JFE,

De galeries en galeries: Polka

La Seconde galerie, Polka, m’est sympathique pour avoir exposé, il n’y a pas si longtemps, un photographe américain dit « de guerre »: Stanley Green. Elle est installée dans un univers indevinable : un de ces espaces de l’ancien Paris, quand les rues ne suffisaient pas à borner la ville, quand des cours s’étalaient, communiquaient entre elles, se succédaient en un glacis compliqué opposant une sorte de ville biologique à la ville moderne géométrique.

Ici aussi deux artistes sont exposés jusqu’au 17 janvier 2015.

De l’un, Sebastião Salgado, je ne dirai pas grand-chose, je me suis déjà exprimé sur lui. Il avait eu droit aux honneurs d’une exposition à la Maison Européenne de la Photographie. Photographe remarquable dont la production ne me séduit pas vraiment. Il y a des merveilles qui côtoient de pures reproductions de la nature et de ses habitants (les hommes et les animaux). La galerie lui consacre la partie de ses locaux sur rue. Les grands artistes s’exposent au vu et au su de la rue et de ses passants. Parmi les photos qui sont exposées, l’une est tout simplement exceptionnelle. Impressionnante comme la photo célèbre du soldat au regard égaré de MacCullin, une femme, ensevelie dans une toge sombre, dure, noire, au regard mort. Noir sur ombre, gris sur noir, les derniers restes de lumière s’éteignent dans sa pupille.

La galerie dans l’immense cour offre ses cimaises à deux photographes français, très jeunes, Yves Marchand et Romain Meffre. Très grandes photos en couleurs comme il se doit. Monumentales. Le titre de l’exposition est « industry ». L’anglais est incontournable : « Industrie » n’aurait pas été aussi explicite ! Avec cette nuance qu’il s’agit là d’une industrie morte, vieilles usines abandonnées, faute de rentabilité, obsolescentes, antiques selon les standards d’une modernité qui avance au pas de course. En Russie, Ukraine, Allemagne, Etats-Unis, un peu partout où dans des lieux désertés, des cheminées se dressent encore au-dessus de verrières éclatées, des salles de contrôle affichent des instruments de mesure aux aiguilles paralysées ou manquantes, des machines monstrueuses sont pareilles à des animaux préhistoriques endormis.

J’insisterai sur le fait que les deux photographes sont jeunes et que leur maîtrise technique est remarquable. Très beau choix des thèmes et des lieux. Travail de repérage intelligent. Les sujets sont identifiés avec pertinence. Pas d’erreur de casting. Donc, on devrait s’attendre à des commentaires plutôt positifs. Pourquoi diable ne viennent-ils pas ? Pourquoi, sent-on dans les propos tenus au long des lignes qui précédent des réticences, une retenue ? Parce que même si on voit que ces photos ne sont pas loin d’un beau travail artistique, on sent que les sujets choisis ont pris le contrôle des deux photographes et ne les ont relâchés qu’une fois les photos prises ! Elles sont bien ces photos, mais, elles trahissent à quel point, dans certains cas, jeunesse des artistes ou faiblesse de leur art, les sujets peuvent prendre possession de leurs photographes. Une vieille expression venue du droit dit « le mort saisit le vif ». C’est probablement ce qu’il y a de plus surprenant dans leur travail : les deux photographes auraient été subjugués par ces lieux abandonnés, oubliés, en voie de destruction lente et pacifique.

Il y a des moments inspirés : je pense à cette gigantesque photo prise à l’intérieur d’une tour de refroidissement étrangement rose. Il y a de la féérie aussi qu’on trouve dans une splendide photo : pendent suspendus à un plafond planant à une hauteur sidérale des centaines de filins équipés de leurs panières. Quelques très belles photos d’appareils industriels d’autrefois, renvoient au travail de la figuration narrative, en particulier Peter Klasen, en restant davantage que celui-ci au ras de la surface des métaux, des robinets et des voyants de compteurs qui imposent leurs formes et interdisent qu’on interprète.

S’agit-il finalement de photographie d’architecture ? On en vient à le penser, tant le rendu est conforme à ce qui a été vu, tant les photos sont fidèles et ne prétendent en rien imposer d’autre vision que celle d’architectures délabrées. N’est-ce pas cohérent avec leur talent de Photographes d’architecture que d’avoir choisi les deux photographes pour mettre en image la dernière œuvre de Frank Gehry au bois de Boulogne : respectueux de ce qui se présente au regard, comme le montre bien l’exposition de la galerie Polka, ils n’auraient pas ajouté leur propre vision aux idées de l’architecte de la fondation Louis Vuitton !!! 

Tous ces photographes méritent qu’on leur rende visite. Anni Leppalä tout d’abord pour ce qu’elle a déjà fait et ce qu’elle annonce. Les duettistes, Yves Marchand et Romain Meffré, si jeunes, même s’ils n’ont fait qu’effleurer leur sujet . Sebastio Salgado, à condition de s’épargner les morceaux de banquise ou les éléphants, a des photos remarquables. Catherine Roncin captivera ceux qui aiment qu’une photo comme un roman raconte une histoire.

De galeries en galeries: Les filles du Calvaire

De galeries en galeries, de bonnes nouvelles et d’autres à débattre !

A débattre ? Que veut-il dire par là ? S’agit-il d’une façon détournée pour dire du mal sur des artistes qui ne veulent que du bien ? Parce que les jours sont plus courts, le temps est devenu gris, parce qu’il fait de plus en plus froid aussi, sans parler de la pluie qui finit par tout glacer, va-t-il se lancer dans des critiques caustiques, ricanantes et acérées ?

Non point ! Débattre, debatable, faire débat, ne sont ni plus ni moins que des appels à témoignages. En échange du mien, j’attends les autres. Pourquoi aujourd’hui et pas avant ? J’ai déjà, dans les semaines et mois qui précèdent, proposé des débats sur des sujets « debatable »… j’ai parfois eu des réponses. Continuons donc.

La bonne nouvelle tout d’abord : les galeries font leur boulot de galeries et cherchent. C’est un point commun à ces deux galeries vers lesquelles j’ai dirigé mes pas : La Galerie des filles du Calvaire et la Galerie Polka. Toutes deux vont de l’avant et savent associer les talents déjà posés aux artistes qui démarrent.

La première propose, elle le fait de plus en plus souvent, deux artistes. L’exposition est ouverte jusqu’au 17 janvier 2015. Deux photographes, deux femmes. L’une est française, Catherine Poncin, l’autre, Anni Leppalä, est finlandaise. Deux tempéraments très différents.

Catherine Poncin tout d'abord, 

La Française est pour moi problématique. La technique dont elle use s’appuie sur l’association, côte à côte, de deux ou plusieurs photos ou extraits de photos, sur des formats de belle taille. Pour faire simple, il faut prendre un exemple : un extrait de Cranach, Diane et Actéon, sur une moitié de l’œuvre et une photo de saule pleureur sur l’autre. Il y a sûrement un rapport. L’ensemble est bien fait. Il y a à la fois, une forme décorative et un rébus, si on veut voir dans l’association en question l’équivalent de ces petits dessins que nos ancêtres affectionnaient et qui terminaient en charade. Dans cette œuvre l’association est « binaire ». Certaines œuvres, complexes, alignent quatre éléments. Compositions qui se trouveraient entre le surréalisme qui a fait son miel des associations incongrues et la « surpeinture » qui propose, partant d’un matériau dont les caractères esthétiques sont bien et solidement posés, de faire passer l’œuvre dans un ailleurs imprévisible. La surpeinture, comme son nom l’indique, est conçue comme une superposition du travail pictural de l’artiste sur un support où a été collée la reproduction d’une œuvre célèbre. La technique de Catherine Poncin est complétement différente : plusieurs photos ou extraits d’œuvres photographiées sont associées, les unes à côté des autres, comme pour créer les occasions d’une musique polyphonique, ou un dialogue, ou pour faire éclater des contradictions. Au fond, on en vient aux commodités duchampiennes : c’est le regardeur qui fait l’œuvre. Nous le laisserons donc décider.

En revanche, Anni Leppalä....

La Finlandaise, Anni Leppalä, m’est d’accès plus facile et c’est peut-être pourquoi je manifesterai une sympathie que je n’ai pas réussi à transcrire dans le précédent commentaire. Jeune photographe, son travail est pour moi encore en cours de formalisation. Il y a chez elle une remarquable capacité à voir et à montrer ce qui lui est venu au regard. Son travail est d’une passionnante densité : thoughtful diraient les anglo-saxons. Pourquoi indiquerais-je qu’elle est en cours de formation ? Essentiellement parce que de grands photographes se trouvent présents, prégnants dans ses travaux : il n’y a pour moi, pas d’art qui se déploie seul et fermé et pas davantage d’art qui trouve son rythme et son sens au nom de la pure représentation. Il n’y a d’art que dans le dialogue avec l’art. Tout artiste doit avoir su copier les anciens. Tout artiste doit savoir reconnaître les cheminements de ses prédécesseurs. C’est pourquoi, si je pense trouver ici et là des inspirations, des idées reprises ou des formes connues, je verserais cette pensée dans cette autre pensée qui est qu’Anna Leppalä est un talent en voie d’élaboration.

Il faut prendre des exemples : ces photos que je qualifierai de « honte », « peur », « oubli » qui présentent des images de jeune fille ou d’adolescente, rousse, le dos tourné vers l’objectif, prostrée, fermée, bloquée, me font instantanément penser à Erwin Olaf qui a aussi réalisé une série dans cet esprit avec des femmes, des garçons, des hommes, des jeunes filles, photographiés froidement, purement, sans ombre portée, dos tournés vers la caméra. Anna Leppalä, apporte ici, dans cette série, une sensibilité qui dramatise les scènes et leur donne, rouge, roux, robes, toute leur portée, entre sexualité hurlée et conscience hantée.

Photographie du refus de dire, images volées de la peur de montrer, silences qui ne peuvent pas même revendiquer d’être assourdissant. On voit aussi des connections avec Robert and Shana ParkeHarrison, mains sanglantes, qui tracent des lignes rouges. Rubans qui saignent. Il faut aussi parler des photographies de la présence à un monde où les fruits sont à leur place. Trop à leur place ? Trop évidents par tant de lumière. Et c’est à Bernard Faucon que je viens à penser : enfants esseulés dans des clairières trop grandes pour eux, intérieurs où trainent des nostalgies, des rêves et quelques cauchemars.

C’est de la très belle photographie. Déjà puissante. Qui a choisi son cheminement. Le discours est là et le talent de l’artiste aussi.


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