Dictionnaire des citations

Michel Pastoureau, Bleu, histoire d'une couleur

 

 La couleur est d’ abord un fait de société. Il n’y a pas de vérité transculturelle de la couleur.

 

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15. Pendant plusieurs millénaires, la teinture des étoffes est donc surtout une teinture en rouge. Ce que confirme encore à l’époque romaine le vocabulaire latin, qui fait des mots coloratus (coloré) et ruber (rouge) des synonymes.

 

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17 Au XIIéme siècle : La culture occidentale passe, en quelques décennies, de systèmes chromatiques à trois couleurs de base à des systèmes à six couleurs de base – sur lesquels nous vivons encore en grande partie aujourd’hui.

 

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23. Dans un passage célèbre de son Histoire naturelle consacré à la peinture, Pline affirme que les meilleurs peintres ont l’habitude de réduire leur palette à quatre couleurs : le blanc, le jaune, le rouge et le noir. Seule la mosaïque fait exception : venue d’Orient, elle apporte avec elle une palette plus claire, plus verte, plus bleutée, que l’on retrouvera dans l’art byzantin et dans l’art paléochrétien.

 

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26. Ainsi en français - comme du reste en italien et en espagnol - les deux mots les plus courants pour désigner la couleur bleue ne sont pas hérités du latin mais de l’allemand et de l’arabe : « bleu» (blau) et « azur » (lazaward).

 

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27. Si donc les Romains ne sont pas « aveugles au bleu comme l’ont cru quelques érudits du XIXème siècle, ils lui sont au mieux indifférents, au pire hostiles. En tait, pour eux, le bleu est surtout la couleur des barbares, Celtes et Germains, qui, aux dires de César et de Tacite, ont l’habitude de se teindre le corps de cette couleur afin d’effrayer leurs adversaires.

 

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27. (Rome antique) Quant à avoir les yeux bleus, c’est presque une disgrâce physique. Chez la femme, c’est la marque d’une nature peu vertueuse ; chez l’homme, un trait efféminé, barbare ou ridicule. Et le théâtre, évidemment, se plaît à pousser de tels attributs jusqu’à la caricature.

 

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27 Térence … décrit un personnage ridicule dans sa comédie Hecyra, écrite vers 160 avant notre ère : «Un géant obèse, ayant les cheveux rouges et crépus, les yeux bleus et le visage pâle comme celui d’un cadavre »

 

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30. Ni pour les Grecs, ni pour les romains, il n’y a de bleu dans l’arc-en-ciel : Xénophane et Anaximène (VI siècle avant JC.) et plus tard Lucrèce (98-55 avant JC.) y voient le rouge, le jaune et le violet ; Aristote (384-322 avant JC) et la plupart de ses disciples, le rouge, le jaune ou le vert et le violet…

 

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32. Moyen Âge : quant au bleu, il ne se voit pour ainsi dire jamais à la cour, est délaissé par les grands et n’est porté que par les paysans et les personnes de basse condition ; il en sera ainsi jusqu’au XIIème siècle.

 

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34. Conciles, prélats et théologiens se contentent de condamner les vêtements rayés, bariolés ou trop voyants et ils continueront de le faire au moins jusqu’au concile de Trente et de rappeler la primauté christologique de la couleur blanche. C’est la couleur de l’innocence, de la pureté, du baptême.

 

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37…L’extrême fin du XIIème siècle, le bleu a déjà commencé sa « révolution» : par le vitrail, par l’émail, par la peinture, par l’étoffe et le vêtement, il a, depuis quelques décennies déjà, fait pleinement son entrée dans l’église. Mais il est absent du système des couleurs liturgiques et le restera à jamais. Ce  Jusqu’à nos jours, dans le culte catholique, il est resté construit autour des trois couleurs «primaires» des sociétés anciennes : le blanc, le noir, le rouge, trois couleurs aux quelles une quatrième a été ajoutée pour servir de « Soupape» les jours ordinaires : le vert.

 

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39. Nombreux sont ceux qui, comme Claude, évêque de Turin au début du IXe siècle, puis comme Saint Bernard au XIIème siècle, pensent que la couleur n’est pas de la lumière mais de Ia matière, donc quelque chose de vil, d’inutile, de méprisable. Jusqu’au XIIe siècle, ces controverses, nées au début de I’ époque carolingienne pendant les querelles des images, reviennent périodiquement sur le devant de la scène et opposent des prélats chromophiles et des prélats chromophobes.

 

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40. Suger … Lorsqu’il fait rebâtir son église abbatiale de Saint Denis, accorde à la couleur une place considérable… faire de la basilique un temple de la couleur, car lumière, beauté et richesse, nécessaires pour vénérer Dieu, s’expriment d’abord par les couleurs. Parmi celles-ci, le bleu joue désormais un rôle essentiel car, comme l’Or, le bleu est lumière, lumière divine, lumière céleste, lumière sur laquelle s’inscrit tout ce qui est créé. Désormais, et pour plusieurs siècles, il y aura dans l’art occidental presque synonymie entre la lumière, l’or et le bleu.

 

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42. Saint Bernard. Pour l’abbé de Clairvaux… la couleur est matière bien avant d’être lumière, est une enveloppe, un fard, une vanitas dont II convient de  de s’affranchir et qu’il faut chasser du temple. D’où cette absence de couleur dans la plupart des églises cisterciennes.

 

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44. Marie, en effet, n’a pas toujours été habillée de bleu. Il faut même attendre le XIIème siècle pour que, dans la peinture occidentale, elle soit prioritairement associée à cette couleur et que celle-ci devienne un de ses attributs obligés : le bleu prend désormais place, soit sur son manteau (cas le plus fréquent), soit sur sa robe, soit, plus rarement, sur l’ensemble de sa tenue vestimentaire… Auparavant, l’idée qui domine est celle d’une couleur d’affliction, une couleur de deuil. La Vierge porte le deuil de son fils mort sur la Croix.

 

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45. L’extraordinaire développement du culte marial assure la promotion de ce nouveau bleu et l’étend rapidement à tous les domaines de la création artistique.

 

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47. Au musée de Liège…vierge romane avait d’ abord été peinte en noir, comme c’était fréquemment le cas à cette époque. Au XIIIe siècle, elle fut repeinte en bleu, selon les canons de l’iconographie et de la théologie gothiques. Mais à la fin du XVIIe siècle, cette même Vierge fut, comme tant d’autres, « baroquisée » et quitta le bleu pour le doré, couleur qu’elle conserva pendant deux siècles environ, avant d’être visitée par le dogme de l’Immaculée Conception et… entièrement badigeonnée de peinture blanche (vers 1880).

 

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51. Tout au long du XIVème siècle…cet emploi des couleurs dans les romans de chevalerie subit quelques transformations. Le noir, par exemple, est désormais souvent pris en mauvaise part ; le rouge au contraire cesse d’être péjoratif. Et, surtout, le bleu fait son apparition. Il existe dorénavant des chevaliers bleus, personnages courageux, loyaux, fidèles.

 

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55. …aversion pour les mélanges, héritée de la culture biblique, qui imprègne toute la sensibilité  médiévale. Ses répercussions sont nombreuses, aussi bien dans le domaine idéologique et symbolique que dans la vie quotidienne et la civilisation matérielle. Mêler, brouiller, fusionner, amalgamer sont souvent des opérations jugées infernales parce qu’elles enfreignent l’ordre et la nature des choses voulus par le Créateur. Tous ceux qui sont conduits à les pratiquer de par leurs tâches professionnelles (teinturiers, forgerons, alchimistes, apothicaires) éveillent la crainte ou la suspicion, parce qu’ils semblent tricher avec la matière.

 

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67. …Léonard de Vinci, auteur d’un traité de peinture (inachevé), à Ia fois compilatoire et philosophique, et de tableaux qui ne sont en rien la mise en œuvre de ce que dit ou prescrit ce traité.

 

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71. Aux couples d’opposition blanc/noir et blanc/rouge, venus du fond des âges, s’ajoute à présent un autre couple de premier plan : rouge/bleu. Au XIIIe siècle, ces deux couleurs deviennent des contraires (ce qu’elles n’étaient jamais auparavant) et le resteront jusqu’à aujourd’hui.

 

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74. Cette valorisation du noir dans le vêtement occidental à la fin du Moyen Age et au début de l’époque moderne est un fait de société et de sensibilité d’une ampleur considérable. Nous en vivons encore aujourd’hui les derniers prolongements par le truchement de nos costumes sombres. De nos smokings… 

 

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93. Pour la Contre-Réforme, l’église est une image du ciel sur la terre et le dogme de la présence réelle justifie toutes les magnificences à l’intérieur du sanctuaire. Rien n’est trop beau pour la maison de dieu : marbres, ors, étoffes et peintures et couleurs resplendissantes.

 

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98. Il est frappant de voir comment, par exemple, les premiers appareils ménagers, les premiers stylographes, les premières machines à écrire, les premières voitures (pour ne rien dire des étoffes et des vêtements), produits en quantité industrielle, s’inscrivent toujours dans une gamme noir, gris, blanc, bleu.

 

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99.  La lumière électrique n’est pas la chandelle, ni la bougie, ni la lampe à huile ; c’est une évidence. Mais quel historien de l’an, quel critique s’en souvient lorsqu’il regarde ou étudie un tableau ancien ?

 

107. bleu… qui devient non seulement une des couleurs les plus présentes sur l’étoffe et le vêtement mais aussi, et surtout, la couleur préférée des populations européennes. II l’est resté jusqu’à aujourd’hui, loin devant les autres.

 

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118. En français… vers 1765 il existe vingt-quatre termes courants pour nommer les bleus produits par les teinturiers (il n’y en avait que treize un siècle plus tôt : sur ces vingt-quatre termes, seize qualifient des bleus clairs. _

 

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120. Goethe… ose affirmer qu’une couleur que personne ne regarde est une couleur qui n’existe pas.

 

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