Eugène Leroy, la disparition

Eugène Leroy, Peindre

Au musée d’Art moderne de la ville de Paris

 

Avant tout, une remarque: "Peindre" comme thème de l'exposition des œuvres d'Eugène Leroy ne conduit-il pas à penser qu'en dehors du processus qui conduit à l'œuvre dite "peinture", il n'y a pas grand chose à dire? 

 

Parmi les différentes approches théoriques de l’art, il en est une, un peu compliquée dans son expression qui est intéressante en ce qu’elle place l’artiste et ses regardeurs dans une relation réciproque de digestion ou d’indigestion !

 

Les auteurs, dont je caricature sûrement la pensée, s’attachent à comprendre pourquoi, devant des œuvres totalement contemporaines des regardeurs cessent de regarder et se détournent, déçus et frustrés, pour reporter leur regard ailleurs sans autre forme de procès : ils ont vu et préfèrent passer leur tour, ils n’ont plus, ayant vu, envie de voir, ils se détournent et ce faisant renvoie l’œuvre dans une sorte de néant, d’autant plus surprenant qu’après tout, ils étaient venus voir avec l’intention de le faire et que l’artiste, s’était exposé avec la conviction qu’il serait vu par des regardeurs décidés à voir.

 

A moins que, dans un mouvement artistique complexe, l’artiste se soit exposé avec la ferme intention de ne pas être vu ou mieux avec l’idée que personne parmi les regardeurs ne mérite un simple regard sur son œuvre. En d’autres termes, l’artiste se serait efforcé de repousser les regardeurs soit parce qu’il les aurait considérés comme non éligible à la contemplation de son œuvre (des idiots), soit parce que son œuvre dans la réalité n’est pas faite pour être vue. On pourrait se demander pourquoi dans ces conditions parfaitement anti-économiques un artiste serait mis sur le marché du « voir » alors qu’il a la ferme intention de se refuser à être vu !!! Cette question fait venir, le galeriste ou le musée ou les intervenants à la mise en scène de l’œuvre, dans le débat. On ne s’y attardera pas, cette chronique n’ayant pas vocation à être un essai sur l’art contemporain et ses regardeurs !

D’où vient l’erreur, pour un artiste, que les regardeurs venus voir, se détournent une fois qu’ils ont vu ? Avait-il l’intention de provoquer ce résultat : le détournement du regard des regardeurs après qu’ils ont vu ? Ou bien, est-ce une absence pure et simple de rencontre entre les regardeurs qui n’auraient pas vu ce que l’artiste voulait montrer et l’artiste qui n’a pas su convaincre le regard des regardeurs de continuer à voir.

 

La question revient donc à ceci : à quel point l’artiste a-t-il envie de montrer ? à quel point les regardeurs sont-ils prêts à faire l’effort de voir ?

Dans le cas d’Eugène Leroy, je me suis senti très exactement pris dans cette question. Car enfin, voilà donc un artiste défendu par un des galeristes-marchands les plus considérables de notre temps, voilà un artiste exposé très complètement par un des principaux musées de France, et voilà un artiste qui provoque chez le regardeur que je suis une parfaite incompréhension. Le plus simple serait de finir ici la chronique d’un « tant pis pour moi, je n’y comprends surement rien, cet auteur n’est pas fait pour moi, je ne suis peut-être pas à la hauteur, je fais partie des idiots, (voir plus haut) »

 

Balayons ces remarques, il se trouve que le sujet m’intéresse, même si son travail ne me parle pas. Ce n’est pas tout à fait vrai puisque j’écris ces quelques mots :  le thème du désir de ne pas être vu qui animerait l’artiste m’intrigue !

 

En somme, je me demande si Eugène Leroy a peint pour être regardé. Poussé un peu plus loin, on pourrait dire qu’Eugène Leroy s’exprime pour qu’on n’ait rien à dire sur lui. Encore plus loin, il s’exprimerait pour dire qu’il ne veut rien dire et qu’il s’efforce seulement à disparaître. Sa peinture serait donc une sorte d’ascèse de l’effacement et de la dissolution. Curieuse situation que celle qui verrait un homme parler pour dire l’indicible et en montrer à la fois la nécessité et l’inéluctabilité.

 

D’où peut-on tirer, de son œuvre, pareil constat à la fois étrange et ambigu ? de ses empâtements, accumulations, entassements, étalements de matière picturale qui finissent par donner à une œuvre, en deux dimensions par principe, une troisième, constituée couche après couche, entassement de matière sur entassement de matière ? Est-ce si original de procéder ainsi ?

 

En vérité, il n’est pas le seul à avoir voulu dépasser le caractère bidimensionnel de la toile. La méthode la plus classique réside dans ce subterfuge qu’est la « perspective ». La forme la plus « primaire » consiste à introduire sur la surface bidimensionnelle du support des éléments tri-dimensionnels : ou bien des entassements de peinture et de matière picturale en tout genre ou bien, des objets qui, intégrés au thème de l’œuvre viennent y ajouter une autre dimension. (on notera que les progrès de la technique aidant, une quatrième dimension se conçoit). De même est-il est loin d’être le seul à avoir entassé les couches de peinture. Revenir sur la toile, ajouter une trace lourde et chargée à l’œuvre déjà commencée, puis, continuer un peu plus loin, changeant de couleur ou répétant ce qui a déjà été fait, puis à nouveau etc. Van Gogh avait progressivement empâté sa peinture, Monet allait et revenait sans cesse comme s’il s’était attaché à un tisser et retisser son œuvre, des peintre contemporains, Pollock par exemple ont fait de ces accumulations leur marque, Dubuffet a creusé la terre et les argiles pour mettre à jour ce que la matière a à dire en textures et lourdeurs, les toiles de Kieffer sont « rehaussées » de paille et d’objets divers en plomb ou en étain…

L’obsession « matérielle » qui est marquante dans le travail d’Eugène Leroy est dans ce contexte une technique picturale qu’on retrouve communément dans le travail de nombreux artistes.  

Dans le cas particulier, original d’Eugène Leroy, ces accumulations de « matière » n’ont pas pour objet de dire quelque chose du monde, des gens ou des lieux, comme c’est le cas de tous les artistes qui se battent ou jouent avec la matérialité de la matière. Pour la plupart des artistes, il s’agit bien d’ajouter quelque chose, un support supplémentaire offert au regardeur, ou un sens qu’on veut donner à l’œuvre, une sorte de commentaire apporté pour qu’elle soit plus lisible, plus accessible au regardeur.

 

La technique d’accumulation pratiquée par Eugène Leroy est tout à l’opposé : elle a pour effet de retirer ce qu’il y aurait à dire du monde.

Ces accumulations de matière auraient une parenté avec le geste funèbre par lequel on recouvre le corps ou le cercueil d’un mort pour lui dire qu’il a toujours appartenu à la terre, qu’il y retourne, qu’il n’est rien que poussière et que l’accumulation de la terre et de la poussière disent ce qu’il y a dire c’est-à-dire qu’il n’y a plus rien à dire, que tout a été dit et qu’il suffit.

 

Appliqué à Eugène Leroy, au peintre, l’application de couches successives, sur un autoportrait, sur un portrait, sur n’importe quel thème est le moyen par lequel, progressivement, l’artiste se voile et voile son œuvre. En ce sens, il ne serait pas vrai de dire que les tableaux de l’artiste sont pareils au dripping de Pollock pour prendre cet exemple : ceux-ci sont offerts en tant que première vue et la seule aux yeux du regardeur, Pollock ne se sert pas de ses drippings pour dissimuler une œuvre ou un message, ils sont l’œuvre et le message. Quand Dubuffet montre la matière et bâtit ses texturologies autour d’elle, il ne s’agit pas de recouvrir ce qu’il y a voir mais au contraire de montrer qu’il y a davantage à voir, qu’on ne voit pas, qu’on ne pense pas à voir mais qui mérite d’être vu. Il n’accumule pas la matière pour faire disparaître mais au contraire pour faire apparaître. Tout l’inverse d’Eugène Leroy qui couche après couche dissout et efface, « ce qui est en dessous », qu’on finit par ne pas pouvoir voir, et qu’il nous annonce pourtant. On ne voit pas que sous les couches de peinture accumulée se trouve un autoportrait, on ne le sait que parce que l’artiste nous en a informé via une notice ou un cartouche, comme sur une tombe, on a marqué d’un « ci-git » la présence d’un mort qu’on ne voit pas et qui n’y est peut-être pas.

Ainsi, l’œuvre d’Eugène Leroy se comprend comme la description d’une disparition et sa conséquence, une absence, une non-présence au monde et par conséquent aux regardeurs.

 

Etrangement toute son œuvre ne suit pas intégralement ce processus d’annihilation qui fait que chaque tableau présente un sujet disparu ou en voie de disparition. On ne retrouve pas cette dissolution du sujet lorsqu’il est question de « bords de mer ». Ils sont frappants ces bords de mer, lumineux comme toujours dans une atmosphère bleutée et qui offre l’impression d’une mer au loin, d’une plage, peut-être, en tout cas d’un haut, le ciel, et d’un bas, la mer, le sable, l’étendue. Les présentateurs des œuvres d’Eugène Leroy conseillent de se poster à distance pour voir ce qui est dissimulé, ce qui demeure encore visible avant que tout soit effacé, ce n’est pas nécessaire pour les « bords de mer », ils sont aussi caractérisés qu’on pourrait le dire des bords de mer de Boudin !!! Dans le même esprit, les bouquets de fleurs ou « fleurs » ne disparaissent pas absolument. Ils  demeurent en tant couleurs, ce qu’il y a de rouge est visible en tant que rouge, vert en tant que vert. On dira que tout a disparu hormis les couleurs. On dira que le regardeur n’a de certitude inscrite dans son regard que la couleur des fleurs, la matérialité des fleurs ayant été effacée. On pense au fameux chat du cheshire de Lewis Carroll, dont il ne reste que le sourire.

 

Peintre de la disparition que reste-t-il donc à voir dans l’œuvre d’Eugène Leroy. Dans cet esprit, un poète pourrait-il déclamer l’indicible ou un musicien composer l’inaudible ?

On aurait envie de comparer son œuvre, ses répétitions, ses accumulations de matière qui se répètent, en tant que matière accumulée, de tableaux en tableaux, à certains travaux répétés à l’infini (ou presque), Rothko par exemple. Œuvres que je qualifie volontiers de passages, qui appellent le regardeur à aller plus loin, au plus profond, à passer au-delà, « beyond the looking glass » proposait Lewis Carroll : au-delà de la porte se trouve, un au-delà de soi-même.

 

Eugène Leroy ne propose pas d’aller au-delà, sa peinture montre qu’il n’y en a pas et que ce serait vain de le rechercher. A la rigueur, on pourrait imaginer qu’il est un « au-dessous », mais ce n’est même pas sûr.

 

« Ne lisez pas ce message, détruisez-le » serait le sens profond de son œuvre. 

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