Qui a peur des femmes photographes? 1

Julia Jackson par JM. Cameron
Julia Jackson par JM. Cameron

JM. Cameron

Alice Austen

Gertrude Käsebier


Musée de l’Orangerie, des débuts à 1918


Voilà un titre pas très malin pour un sujet très intéressant « trop d’allusion tue l’allusion » disait un sage chinois et chacun aura vu qu’il pourrait bien y avoir une référence à « qui a peur de Virginia Woolf ». Il est vrai… mais on verra un peu plus loin cet aspect de la question !


Deux réserves avant de commencer cette chronique : la première tient à ce qu’elle se déroule en deux temps et en deux lieux. Le premier temps, c’est celui qui, à l’Orangerie, part des débuts de la photographie jusqu’à la Grande Guerre, le deuxième, au Musée d’Orsay, court jusqu’à nos jours. Or, à l’instant où j’écris, je n’ai visité que la première partie, celle des pionnières, au moment même où tout dans la photographie était encore à faire. Donc, mon commentaire devra être suivi.


Deuxième réserve, le thème lui-même : une exposition transverse. On y voit toutes sortes de femmes photographes à une époque où ce nouvel art balbutiait. L’idée ? Montrer la façon dont les femmes se sont approprié l’art et ses techniques. Montrer comment elles s’en sont vues interdire l’accès ou cantonnées dans une version « convenable » dudit art ; montrer que les femmes ont su conquérir le droit à l’expression  photographiques et comment elles ont su passer des conventions les plus conventionnelles à l’audace, à la rupture, à des révolutions.


Soit ! Derrière la noblesse de l’ambition, il y a la réalité de l’exposition. De deux choses l’une : ou bien, les femmes photographes n’ont pu faire leur chemin en dehors de l’Angleterre et accessoirement aux Etats-Unis, ou bien l’exposition dont les ambitions sont universalistes rate ses objectifs et se résument à « qui a peur des photographes anglaises et américaines ? » car, peu de Françaises sont représentées, mais pas une Italienne, Allemande, Austro-Hongroise ou Russe. En fin de compte, l’exposition est dédiée à la photographie anglaise de façon écrasante.


A ce stade, on est partagé entre la bonne idée qu’il y a eue à regrouper les productions photographiques sous quelques formes que cela soit de la part de toutes celles qui en Angleterre ont eu la chance d’avoir un appareil entre les mains et le fait que parmi toutes ces femmes qui photographiaient soient apparues des femmes photographes, comme il en était à cette même époque des femmes peintres, musiciennes, c’est-à-dire des Artistes, trouvant de nouvelles façons de voir, peut-être parce que femmes elles étaient qui avaient d’autres vérités à révéler que les hommes.


Dans un premier temps, c’est bien des travaux de femmes qu’il va être question. Comment la photo leur est-elle venue, petits jeux pour ladies, passe-temps dans l’esprit et le genre de la tapisserie, mais en plus moderne. Peut-être devrait-on parler de façon un peu plus soutenue de ces maris, enfants, parents qui n’hésitent pas à faire les modernes, les « geeks » de l’époque et qui équipent leurs femmes d’appareils dernier modèle sans trop savoir ce qu’elles en feront, si ce n’est qu’on peut faire des clichés de la famille et les mettre dans des albums de famille, si ce n’est que lorsqu’on est propriétaire de mansions dans le « country-side », on pourra s’autophotographier, se selfiser, se montrer les belles maisons et les « beautifoul » people qui les hante.


Tout ceci est amusant, intéressant, je ne suis pas sûr qu’il n’y avait pas la même chose en France, peut-être moins car c’est bien connu la France de cette époque était sous-développée par comparaison avec l’Angleterre. Je ne suis pas sûr que les collages amusants des ladies n’aient pas eu en Italie, en Russie des répliques en d’autres formes que celles de découper des portraits pour les mettre dans des toiles d’araignées.


Ensuite, on voit que les femmes sortent de chez elles pour photographier le vaste monde, même les ouvriers et un peu les paysans. Enfin, elles font des portraits d’autres gens que leur famille directe. Tout ceci montre un monde féminin qui conquiert un droit d’expression voire un droit de critiquer. Qui rompt aussi quelques amarres, avec ces photos entre amies, photos où les amies se griment en hommes et celles qui les voient s’embrasser par manière de dérision ou par manière d’affirmation. Plus tard viendra le « nu » et, en particulier, le nu masculin saisi sur la pellicule par ces femmes photographes, ce qui, pour le coup fut un coup d’éclat. Pour terminer, elles seront reporters-photographes pendant la grande guerre au même titre que les  femmes durent se faire ouvrières, agricultrices, fonctionnaires à la place des hommes partis au combat.


Sous ces réserves et remarques, c’est une belle exposition bien faite. Elle est didactique à souhait comme le sont maintenant les expositions, avec des cartons un peu partout, pour ne pas dire des phylactères, qui vous expliquent ce qu’il faut comprendre devant pareil déferlement d’images, parfois très petites, la taille normale des photos d’une époque. C’est ainsi qu’on nous montre que la femme a su se faire « Sujet regardant : normes et sociabilité ». On aime ces expositions qui se transforment en livres d’histoires de l’art ou on ne les aime pas. Moi, je trouve cela assez ennuyeux et puis cela nuit à la fluidité du parcours des regardeurs. Je me demande s’ils ne lisent pas plus qu’ils ne regardent (somme toute rassurant dans un monde qui voit l’écrit décliner au profit de l’image, surtout celle qui bouge).


Julia Margaret Cameron

En revanche, parmi toutes ces femmes photographes qui ne font peur à personne, l’exposition permet d’en isoler trois ou quatre qui sont de véritables artistes. A commencer par celle dont bon nombre de photographies agrémentent les cimaises : Julia Margaret Cameron (1815-1879).

Ses portraits sont d’une parfaite intelligence émotionnelle. A l’inverse de ses consœurs qui font plus souvent le photographe du dimanche qu’il ne le faudrait, Madame Cameron renouvelle le genre. Elle y insuffle les sentiments qu’elle pense déceler chez ses sujets et qu’elle veut faire voir à ses regardeurs. Oui, ils ont l’air parfois un peu trop inspirés. C’est l’époque dira-t-on, on était encore un peu romantique. Les néo-raphaélites anglais triomphaient en Angleterre. La blanche Ophélie ne cessait pas de couler sous les saules, lesquels pleuraient en branches pendantes et frêles. Il y avait du Walter Scott en peinture. Les terreurs gothiques du moine et de Frankenstein donnaient le « la » de toute une iconographie. Madame Cameron pouvait donc montrer de grands artistes dans leurs apparences inspirées. Elle n’avait pas tort.

Une photographie de JM Cameron est particulièrement émouvante, parce que belle mais aussi parce que prémonitoire : c’est la photo d’annonce de l’exposition. Celle de sa nièce, Julia Jackson dont le visage renvoie à une autre photo, celle d’une femme, prise par une autre femme, près d’un demi-siècle plus tard : Virginia Woolf par Imogen Cunningham. Et aussi, mais plus tardive, cette autre photo, si inspirée par Gisèle Freund. Or, Virginia Woolf était la petite nièce de JM Cameron.

Un mot encore : on attribue à JM Cameron l’idée du flou en photographie. Lequel effet sera surexploité par les pictorialistes et demeure un « truc » pour donner du sentiment aux choses !

Il ne faudrait pas malgré les apparences s’en tenir à la seule Cameron. Deux autres femmes photographes ont bien représentées et n’ont pas hésité à secouer le cocotier. Alice Austen et Gertrude Käsebier.


Alice Austen

La première (1866-1952) s’est fait une spécialité de la description de la vie amusée, heureuse, festive, hors des sentiers battus, d’une société insouciante… Elle mourut dans la misère, tardivement reconnue.

Gertrude Käsebier

La seconde est américaine, née aux Etats-Unis (1852–1934) où elle a exercé toute sa vie. Exceptionnelle portraitiste, elle s’attache à tous les visages, qu’ils soient blancs ou noirs, ou indiens, de gens de la bonne société ou d’indiens des plaines. Elle a livré un travail dont le caractère novateur est frappant.


Une dernière remarque : le nu.  Imogen Cunningham (1883- 1976), américaine, est la benjamine de cette série de photographes. Son activité se déploiera longtemps après la première guerre mondiale. C’est cependant avant la guerre de 14 qu’elle créera une grande émotion et provoqua un véritable scandale ! La cause de ce grand « turmoil »: des photos de nus masculins (le modèle était son mari). Elle dût même retirer ses clichés et devant le bruit médiatique, dit-on, les ressortit beaucoup plus tard !!! Plus tard…ses nus seront parmi les plus inspirés. Plus tard aussi, parmi ses portraits, celui de Virginia Woolf.


Décidément personne n’a vraiment peur des femmes photographes.

 

Imogen Cunningham

 Dans la bataille des monnaies numériques souveraines, la Chine fait la course en tête

 

 

 

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