Lucien Clergue, "Les premiers albums"

Lucien Clergue,

« Les premiers albums »,

Grand palais, jusqu’au 15 février 2016

Le grand « Photographe ». Le Français qui a révolutionné la photographie française. L’homme à qui la photo française doit tout etc …

Oui, Lucien Clergue est un grand photographe. Oui, l’importance de son art tient au fait qu’il a bousculé les genres classiques, psychologiques et sentimentaux nés pendant l’entre-deux guerres. Oui, il a été très tôt « découvert » et a su convaincre de ses idées des Icônes, Picasso, Cocteau. Et surtout, il a été de ceux qui ont tout fait pour que la photographie soit hissée au rang des « arts majeurs », pour qu’un enseignement adapté en photographie soit mis en place et que des manifestations en Arles deviennent des points essentiels de reconnaissance pour les générations d’artistes à venir.

Oui.

Et il est légitime que le grand « photographe » très tôt collectionné (ou collecté ?) par les Américains bénéficie d’un lieu prestigieux pour sa dernière exposition. Un Grand Palais, pour une Grande exposition sur le Grand Photographe.

Oui.

Mais ce n’est pas le « Grand Palais », c’est une annexe, en petit, du Palais. Mais ce n’est pas une « Grande exposition », c’est une exposition de taille moyenne. Rien à voir avec l’exposition du « Petit Palais » sur Kuniyoshi. (Magnifique exposition). Peut-être tout ceci est-il dû au thème auto-restreint de l’exposition sur Julien Clergue : « Les premiers albums ». On entend évidemment que les photos montrées seront celles du « Jeune Julien ».

Oui, et non, et c’est là que le bât blesse.

Les photos des « premiers albums » démarrent avec les ruines d’Arles. Il a vingt ans. 1954 et d’après l’exposition, ces vingt ans vont s’étirer encore 20 ans ! Il aura alors 40 ans ! C’est chipoter ? C’est être un peu mesquin que de discuter sur ce que « premiers albums » veulent dire ? Peut-être.. Mais peut-être faut-il aussi comprendre que les photos du « Jeune Julien » ne sont pas si nombreuses qu’on puisse en faire une vraie exposition. Ou qu’elles ne sont pas faciles à trouver. Le résultat c’est que cette exposition est aussi peu « premiers albums » que possible. Pire, elle est composée très largement de retirage dont les dimensions ne sont pas celles d’origine. Il est vrai qu’aujourd’hui, les formats de tirage ont fait des progrès (en termes de taille) et qu’afficher des formats cartes postales n’est pas très vendeur.

Je sais, je chipote.

Mais,

Les photos de Julien Clergue ne sont pas bien traitées dans cette exposition. Trop neuves, trop grandes, trop propres, trop brillantes, presque vernies quand on pense à toute la série « Camargue », merveilleusement nouvelle, en termes de regard et de vision. Elle avait été présentée, il y a 6 ans, au musée Marmottan. Dans cet environnement chargé d’une histoire de la peinture particulièrement marquée, la série resplendissait. Plusieurs salles en étaient chargées, les photos ne s’étalaient pas, elles occupaient des murs et correspondaient avec les autres photos accrochées aux murs d’en face ou sur les côtés. Toute une atmosphère de noir et de blanc, de formes griffées et de treillis entrelacés, formes nouvelles à base de toute une végétation de tout temps camarguaise… très beau souvenir. Au Grand Palais, la série Camargue a été priée de s’aligner, comme à la parade, ou comme des dames qui attendent ou comme les trouffions d’un autre temps avant de voir le médecin. Elles sont sinistres, mal éclairées, les blancs sont chlorotiques et les noirs sont simplement charbonneux, même les éclairs du soleil dans l’eau font sunlights ou lampes à incandescence !!!

Et pourtant un fantastique talent fait venir à nous un monde nouveau. Ce n’est plus une végétation à demi-immergée, c’est l’esprit d’un lieu et les esprits qui l’habitent.

Les vues d’Arles en ruine, encore délabrée, 10 ans après la fin de la guerre sont poignantes. Elles disent tout de la tristesse qui saisit non pas seulement l’amoureux d’une ville mais surtout son enfant, son fils. Les villes détruites se sont malheureusement multipliées avec le développement de la photo ! L’idée de saisir, ces moments sinistres, est venu lentement. Passant du pur documentaire (cf les photos de la cathédrale de Reims martyrisée pendant la Grande Guerre) à ces photos de déréliction, porteuse de douleurs et de meurtrissures, que sont les photos d’Arles prises par le « jeune Julien ». Dommage qu’il n’y en ait pas eu davantage ou bien qu’on n’en ait pas trouvé d’autres à montrer.

Parmi les photos des débuts, « des premiers albums », celles des charognes. Utiliser les charognes comme sujet à photographier était une idée forte. Bien comprendre la mort, pour la montrer dans ce qu’elle a d’hideux. Des animaux démantelés par la pourriture. Des cadavres rongés, des traces de mort, partout sur des loques pendantes. Au sortir de la guerre, au sortir de drames personnels, magnifiques témoignages et surtout, magnifiques « inventions » qui ne doivent rien à une posture intellectuelle, à une référence à la doxa artistique du surréalisme. Le « Jeune Lucien » est là dans la position artistique de celui qui « voit » et qui fait venir au regard.

Elles sont belles ces photos et annoncent la puissance des photos de tauromachie. Celles-ci sont magnifiques, glorifiant le taureau autant que le toréador. Photos chocs, photos dramatiques, que ces photos de toros agonisant, morts, tête à terre, salie de sang, de poussière et de bave. Yeux vides des monstres morts. Ou affolés de combattants à l’agonie. Photos prises par terre au plus près des toros. Tout contre leurs souffrances et leurs morts. Cadrages impitoyables, bêtes à terre et hommes debout. Rien qui montre l’arrogance du vainqueur, rien qui réduise la victime au rang de future carcasse de boucherie.

Passer du monde taurin, de l’arène où le drame se joue à la tragédie poétique de Cocteau est finalement naturel. La science du noir et blanc purs au service de l’intensité dramatique allait bien avec les photos prises sur le tournage des films de Cocteau. Ils en restituent avec force et justesse  les vibrations dramatiques.

Et puis, il y a les nus.

Et l’intention derrière les nus.

En fait, ma conviction est que Lucien Clergue qui n’était plus tout à fait le «jeune Lucien quand il a lancé son programme de « nus », n’était pas à l’aise avec ce thème. Fallait-il chanter dans les corps nus la puissance vitale de la nature et la force énergétique de ces formes généreuses ? Fallait-il les jetant à l’eau et jouant avec l’écume renvoyer aux vieux thèmes grecs quand la nature était divine et la beauté un don sous réserves des Dieux ? Fallait-il explorer le corps de la femme lui restituer ce qu’il a de marmoréen et lui faire crier ce qu’il a de doux et d’intime ? A mon sens, Julien Clergue n’a jamais su répondre. Conséquence de cette hésitation, des photos souvent aguicheuses, des allusions tonitruées, des références psalmodiées, des eaux spermatiques et des corps que les algues évitent. Ne parlons pas du sable sur les fesses et les seins qui laissent leur empreinte sur des plages où la main de l’homme ne semble pas avoir mis le pied.

En fait, chez Lucien Clergue, à l’opposé de la mort du Toro emplie de fureur et de fins inévitables, la vie du nu est vide de désirs et trop pleine de souvenirs de musée. 

Que dire en conclusion de cette visite aux « publications de jeunesse » ? Une chose au moins : un grand artiste mérite une grande exposition. Et si cela n’est pas possible, il faut, pour mettre en valeur l’importance de l’artiste, se concentrer sur des œuvres importantes.

PS : Camargue

Si la Camargue de Julien Clergue est belle et ses photographies inspirées, il ne faut pas oublier celles de Georges Joniaux. Celui-ci livre une Camargue qui me parait plus simple, plus épurée, japonisante, comme si les végétaux dans leur rencontre avec l’eau avaient muté en idéogrammes. Joniaux photographie la Camargue, au début des années 60, Julien Clergue, au début des années 70.

 

 


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