Jérôme Zonder, à la Maison Rouge

Fatum, ou ce n'est pas montrable

Jusqu’au 10 mai 2015, la Maison Rouge, expose Jérôme Zonder et prend le risque de l’inconfort, de l’incompréhension et des commentaires bien-pensants. C’est une tendance lourde que de s’en prendre au travail d’Antoine de Galbert. Peut-être devrait-il se reprocher son obstination à vouloir montrer ce qui n’est habituellement qu’exhibé!


Le travail qui est montré à la Maison Rouge ne relève pas de la muséographie habituelle : ici, c’est d’art en l’état futur d’achèvement qu’il s’agit. Né en 1974, à Paris où il vit et travaille, Jérôme Zonder montre ses œuvres depuis un quart de Siècle. Son travail secoue, c’est le moins qu’on puisse dire ! Au point qu’un critique du Journal le Monde a éprouvé le besoin d’en appeler au sens commun des regardeurs et à la sûreté de leur jugement de goût. Pour lui, l’horreur en noir et blanc est un « stéréotype ». L’exposition crée une gêne chez les regardeurs confrontés à grossièreté et cinéma gore. J’imagine qu’il s’est retenu d’ajouter que les images en couleur, enfants qui massacrent et têtes qu’on découpe, qui montrent les hauts faits des djihadistes, sont emblématiques de l’atteinte au goût et à l’intégrité mentale des regardeurs! On croyait que la France en avait fini avec les « jugeurs de goûts » et que le « belle hideusement d’un ulcère à l’anus » n’avait plus rien à craindre des cuistres. Ils se cachaient certainement. Ils sont de retour.

Pour moi, Fatum est une exposition qu’il faut aller voir, impérativement.


Jérôme Zonder Y a-t-il des gestes dont l’accomplissement est aussi stupéfiant que le fameux coup de tonnerre dans un ciel serein ; des gestes qui rompent un ordre sans que le désordre s’ensuive ; des gestes qui sont à l’origine de mondes nouveaux à lire, voir ou entendre ?


Un exemple ? Un son produit par une seule touche de piano, une note qui résonne, corde de guitare qui vibre, triangle qui tinte. Un son faible, délicat, doux ou presque inaudible qui d’un coup sépare le monde entre bruit et silence. Un autre exemple, le trait que la main trace sur une surface quelconque, papier, rocher, sable : surgit alors, dedans et dehors, à côté et devant, l’imperfection d’une surface divisée. Les déchirures montrent l’épaisseur, le trait montre l’irruption du temps.


Y-a-t-il ainsi des gestes qui déchirent les plénitudes apparentes et font surgir entre les bords de la plaie, un monde auquel nous nous attendions peut-être, auquel nous pensions mais qui demeurait informulé ?

Le dessin est de ces gestes. Il comporte une part de fausse évidence et de vraie inquiétude. Purement noir sur purement blanc, le dessin est un dire, une écriture plus encore qu’il n’est une image ou une représentation. Le dessin est du domaine de la fascination et de l’invocation, apte qu’il est à se saisir, comme par un lacet, une corde ou un fil, d’un visage, d’un corps ou d’une émotion. Avant ce tracé, avant que le crayon ne se soit déployé, il n’y a rien. Après, le premier trait, émerge quelque chose ou quelqu’un, porté au regard, en plus bref cependant, mais aussi clairement que des mots portés à la lecture et eux aussi tracés.


Les plus grands peintres ont souvent été de très grands dessinateurs, dit-on. Les mains tracées par Vinci, les traits jetés comme à la volée ou à la va-vite de Picasso, une ligne qui se courbe, un trait qui fait un sourire sont autant de défis lancés à l’entendement des formes et des images. Les virtuoses du dessin, à ce compte, sont des sortes de démiurges. Ils fascinent et étonnent. Leur main qui vole sur le papier ou tout autre support n’en appelle pas à la commodité des formes du sculpteur qu’on peut caresser et dont on peut vérifier la réalité. Elle ne cherche pas le secours de la palette du peintre et des couleurs qu’on étale. La main de ces virtuoses est parente de celle du violoniste. 


Jérôme Zonder est un virtuose du dessin.

Le dessin, tel qu’il sort des mains d’un virtuose, inquiète toujours, entre le vide de la page que le trait enserre, emprisonne ou libère, entre le plein des ombres et l’obscurité profonde des coups de charbons qui animent des formes et font déferler émotions, craintes ou peurs irraisonnées. Jérôme Zender est de ces artistes qui parviennent à couvrir des surfaces considérables et à leur donner la dimension d’univers, ou pesants, ou libérateurs. Il est aussi de ces artistes qui associant le trait le plus humaniste à la forme la plus brute, créent des atmosphères de malaise et d’abandon. Il est aussi de ceux qui savent faire jaillir ce qui est derrière les formes qui se présentent à lui et, découpant la feuille d’un coup de crayon, déchirent le rideau, arrachent les vêtements, la peau et les bonnes consciences pour montrer l’en-deçà des choses.


Car, entre les mains d’un virtuose du dessin, le crayon décrit tout ce que l’œil voit ou pire tout ce que l’inconscient débusque, justement, cet en-deçà, sous la peau, sous les innocences ou les violences. Jérôme Zender s’est engagé totalement dans ce travail d’exposition que lui a proposé Antoine de Galbert pour sa Maison Rouge. Totalement signifie bien que l’œuvre est globale, totale, totalisante et submergeante. C’est à une fantastique plongée dans la tête du dessinateur, dans son cerveau, dans cette matière spongieuse qu’il a ouverte à la main, disloquant la boîte crânienne comme on ouvre une noix ou une huître et faisant jaillir dans une explosion dégoulinante tout ce qu’elle contient de matière.

Auparavant, le dessinateur aura conduit le regardeur tout au long d’un corridor intégralement couvert de dessins, aux murs, au plancher et au plafond, indiquant que ceux qui viennent ici doivent abandonner toute habitude de pensée, tout confort de discernement et se laisser emporter dans le flux d’un dessin absolu. Ponctuant la progression des regardeurs, de petits tableaux, des dessins évidemment, surgissent d’une forêt fermée, noire et obsédante et représentent sa famille, ses enfants. Acteurs ou victimes des dédoublements, défoulements, débordements, ils seront les héros de la plongée dans l’obscur que l’artiste a mis en scène. Ce prologue achevé, c’est dans une bien étrange installation que l’artiste invite les regardeurs. Passé l’éclatement de la boîte crânienne, passé la représentation de la « maison » de l’artiste et passé le dessin « t’es où ? », une porte ouverte sur un espace obscur, le cheminement sinue entre horreurs des représentations, multiples assassinats, ricanements d’enfants qui sont d’ores et déjà des adultes aux mains veineuses et aux pieds trop grands. Entre gigantesques têtes d’insectes d’un réalisme parfait et dessins schématiques  qui, par leur présence, parmi des personnages hyperréalistes, anéantissent ce que le réalisme veut dire, le dessin de Jérôme Zonder, devient l’incantation du trait et de son dire.


Œuvre totale, il met au service de cet étrange voyage les styles les plus divers, sans que jamais, les mêlant au sein d’une même œuvre, leurs combinaisons, s’annulent ou se contredisent.  Un masque schématique sur un personnage hyperréaliste vient arracher le faux semblant de l’apparence, pendant que le registre hyperréaliste s’autodétruit par l’invraisemblable vraisemblance de membres distordus ou impossibles.


Technique totale où l’art du dessin est convoqué avec tous ses instruments, crayon, plume, craie, charbon, fusain, poudre en tous genres et sont associés avec des applications à la main, aux doigts directement sur le papier, sur le support. En toute fin de ce parcours, dont le décor, les murs, les plafonds, les planchers changent sans cesse pour s’assombrir et conduire à l’obscurité absolue, viennent se placer dans une salle commune des dessins faits par apposition de traces de doigts et reproduisant des photos de rafles allemandes de civils juifs. Les regarder comme de purs documents qui viendraient s’ajouter à tous les autres dans le but restreint de rappeler, remémorer, faire survivre la mémoire de la Shoah, serait une erreur de sens. Ces dessins viennent à la fin d’un déferlement d’horreurs, d’un dévoilement des monstruosités, de l’en-deçà de l’Homme, y compris dans sa « version » innocente, l’enfance. Ils viennent après que l’artiste a convoqué la mémoire de toutes les horreurs qu’il s’agisse des Bosch et de leurs émules, de toutes les confusions des sens où les soleils noirs sont portés par les Odilon Redon, James Ensor de tous les temps. Ils viennent aussi après avoir puisé dans la littérature contemporaine faite de bandes dessinées déjantées, sinistres ou horribles, après avoir trouvé des ressources considérables dans le cinéma.


Un critique, dans un grand quotidien parisien se demande : « virtuosité pour quoi faire ? » et prétend relever que toutes les horreurs, monstruosités et peurs démentielles déployées par l’artiste ne sont, somme toute, que des banalités de consommation courante.


Utiliser des enfants pour massacrer des adultes et diffuser cela sur internet, c’est en effet maintenant de la « consommation courante ». Ce sont ces mêmes critiques qui tomberont en pâmoison devant « l’oncle Rudi » de Gerhard Richter ! Laissons à la critique arrogante ses consommations douteuses et reconnaissons que le cheminement de Jérôme Zonder est celui de l’inconfort absolu au sein d’un monde qui trahit sans cesse les idéaux de l’humanisme. Quant aux imbéciles qui citent Adorno en se demandant s’il y a de l’esthétique là-dedans, qui en appellent au « jugement de goût » et ne voudraient pas mettre tout ceci à leurs murs, renvoyons-les aux seins découpés, aux langues arrachées et aux fornications douteuses des peintres anciens depuis les Hollandais jusqu’aux Espagnols. Surement, le goût n’y était pas célébré comme il le méritait. 


J’ai, il y a quelques temps, écrit sur l’indicible, l’invisible, le non-montrable. En photo, en particulier, j’ai évoqué les horreurs montrée par D’Agata, Witkin, Ballen et tant d’autres. Je persiste et signe, une œuvre d’art ne se définit pas à partir du confort moral, ni des rétines chatouillées : elle se définit par la pertinence des questions qu’elle pose et, parfois, avec le temps, par l’intensité des réponses.

 

 

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