Peter Klasen: reflexions sur Malevitch

Galerie BOA

11 rue d'Artois

Peter Klasen

« Reflexions sur Malevitch »

Jusqu’au 30 mai

 

On dit de Peter Klasen qu’il est un des créateurs et leaders de la figuration narrative. D’autres disent qu’il est inclassable. D’autres enfin pensent que classer, c’est comme faire entrer quelque chose dans un dossier, c’est comme fixer un papillon sur un bouchon, ou taxidermiser un lion, le figeant dans un élan qui n’a jamais eu lieu.

 

Donc, on oubliera la classification de Klasen dans la Figuration narrative et on ira directement aux œuvres. Heidegger pensait que « La grande réussite supporte même que puissent être reniés personne et nom du poète ». On n’oubliera pas, pour la clarté de l’exposé, que la personne est Peter Klasen.

Un dialogue avec Malevitch ?

 

S’agit-il de se mesurer avec les maîtres ? Ou de les défier ? Ou s’agit-il de montrer une fois de plus que l’artiste ne dialogue ni avec le monde, ni avec les regardeurs, il dialogue avec ceux qui l’ont précédé et même avec ceux qui lui sont contemporains. L’Art ne nait pas de la contemplation de la nature ou des hommes, il naît du regard des artistes et dans ce dialogue/confrontation, il naît de la vision qui vient à l’artiste, imprévisible et pourtant éminemment désirée, spontanée et pourtant sans cesse travaillée, insaisissable mais en fait figée avec un espoir d’éternité.

 

En ce sens, et bien qu’on puisse reconnaître les maîtres avec qui le dialogue est entamé, constatons que parmi les maîtres, Peter Klasen est vraiment le plus aisément reconnaissable. Ce serait alors, un Dialogue avec lui-même, plutôt qu’un dialogue avec les maîtres ? Non pas, ils sont là, et l’entourent. Il les avait choisis, admirés, rêvés. Les avaient-ils jalousés ? Ils l’ont toujours accompagné. Il leur rend hommage.

C’est à Malevitch que cet hommage va le plus clairement : Peter Klasen a adopté un registre de couleurs qui ne lui sont pas habituelles pour être plus près du russe, des noirs, des rouges et des gris. Mais, c’est de la révolution russe qu’on parle ici, suivant les dernières tentatives que risqua Malevitch, avant que le déferlement artistique révolutionnaire ne soit stoppé, puis renié, avant que les avant-gardes des artistes russes ne soient envoyées en Sibérie continuer leur monde meilleur. La relation qu’en fait Peter Klasen est pleinement aboutie. Trace de graphisme social-révolutionnaire, ombres des mots qui claquaient dans les chants révolutionnaires, machines et cadrans qui montre l’impératif technique et industrielle.

 

Néanmoins, Peter Klasen est bien là, très là : ses codes et ses signaux, le triangulaire avertisseur qui devrait détourner ceux qui s’approchent trop près des courants électriques à haute tension, les roues dentées et les calandres de bagnoles de courses et même un sourire (de femme) s’est glissé dans une représentation industrialiste !!!

 

Chez Malevitch, les signes et les codes de Klasen se sont invités : triangle jaune annonciateur de la foudre électrique qui se répète de l’une à l’autre. La répétition est le secret de la pédagogie. Marteler le message, c’est le rendre incontournable. Peter Klasen est un pédagogue de l’esthétique néo-industrialiste. Ce qui compte n’est pas tant l’usine que les messages qui énoncent le paysage techno-industriel.

 

Klasen est là et la matière technologique aussi ! La toile ne peut pas contenir toutes les machines : les représenter, c’est possible, si elles le veulent bien. Mais chez Klasen, les machines ont pris des libertés. Il a fallu les amadouer pour qu’elles rejoignent l’œuvre du maître, il a fallu les cajoler pour qu’elles acceptent d’y être fixées. Elles ont accepté qu’on se saisisse de leur image, mais elles ont été plus loin. C’est ainsi que, des morceaux de tuyauterie, des compteurs d’électricité industrielles, des cadrans et des câbles, sont venus s’ajouter « physiquement » et se sont installés dans les œuvres, leur conférant une illusion de troisième dimension. Elles se sont imposées au milieu du dialogue lui donnant des accents de sincérité, de présence au monde et de vérité.

 

Un réalisme serein

 

L’œuvre de Peter Klasen est marquée par un regard sans réticence et sans crainte sur le monde vrai. Pas le monde des petites fleurs, pas celui des graffitis ni celui des délires surréalistes. Le monde vrai. Celui qui nous entoure et qui sollicite le regard en permanence et que, pourtant, très souvent, nous ne voulons pas voir, auquel nous ne voulons pas attribuer le mérite d’être considéré. Klasen, très vite, a regardé les machines, les rouages, les câbleries et les boitiers électriques. Mais ce n’est pas beau, entend-on ici ou là ? Au contraire. C’est aussi beau pour nous autres modernes habitants des villes, conducteurs sur des autoroutes, utilisateurs de machines en tous genres que les ondoiements des blés sous le soleil d’été, que les feuilles vert sombre de la forêt au moment où le jour bascule. C’est aussi beau que l’ombrelle et les couleurs pastel dont elle baigne le doux visage d’une sage adolescente se promenant parmi les coquelicots. Les pastorales sont belles pour les mondes paysans. Nous avons beaucoup de mal à nous séparer de cette beauté des origines. Nous en venons et, par une sorte de rémanence esthétique, nous continuons à nous extasier devant les pâturages et le retour du troupeau dans l’ombre fuyante du soleil couchant.  Klasen ne dit pas que les machines sont belles, il annonce qu’à force, la beauté venant au fil du temps aux formes dont on a pris l’habitude, les regardeurs les verront, s’étonneront même de ne pas les avoir regardées et les trouveront belles. Mais il aura fallu qu’un peintre, photographe ou poète, ait reconnu dans un jaillissement d’images ignorées, que la beauté était à naître.

 

C’est en ce sens qu’on peut parler de réalisme. Pourtant, à l’inverse de la plupart des « réalistes », cette réalité n’a rien à voir avec la peine, le labeur, l’exploitation. On est bien loin des « temps modernes » et toutes les fictions à base d’usines-Léviathan où sont rassemblés les damnés de la terre. Le réalisme de Klasen n’est pas une prise de position moralo-sociale, c’est la manifestation d’un regard simplement posé sur le monde. Les roues dentées ne sont pas des mâchoires, les wagons ne sont pas plombés, les tuyauteries n’annoncent pas la destruction de l’environnement. Le réalisme de Klasen est serein. On devrait lui rapporter la lumière et la netteté des artistes de la bande dessinée : « la ligne claire ». Klasen ne connait pas les matins glauques et les vents glacés. Il retient que le monde est à voir différemment, que dans ce monde, on trouve des codes, des signaux, des injonctions qui n’ont plus aucun rapport avec ce que les regardeurs affectionnaient, qui parlait de mondes disparus et idéalisés.

 

Le monde de Klasen n’est ni menaçant, ni repoussant : un feu rouge est un objet familier, comme la boîte électrique vers laquelle convergent des câbles, comme une poulie que l’artiste, posera peut-être, objet « 3D » sur sa peinture pour faire passer celle-ci du monde de la représentation au monde de la démonstration. Pas d’ombres portées : est-il toujours midi dans ce monde-là, ou bien le temps serait oublié, sauf quand il est donné à voir sur des cadrans d’usine ? Monde serein et séduisant, car parmi tous les codes, les objets signifiants, la femme est présente, objet du désir, sujet obsédant. Une femme symbolique qui n’est présente parfois que par certaines parties de son corps, seins, lèvres. Ou bien tout entière, à la fois irréelle et charnelle, désirable et lointaine, présente au monde du regardeur et hors d’atteinte ; le monde de Klasen n’est décidément pas repoussant. Attirant et aimable : on a dit serein. L’inquiétude quand elle vient rappelle simplement que le monde n’est pas seulement un sourire, ni une plaque minéralogique impeccable et rutilante.

 

L’espace et le temps de l’œuvre

 

Si le monde n’est pas inquiétant, si sa trace est donnée à voir, toute entière et sans sous-entendus, pourquoi l’artiste convoquerait-il ces acteurs au jeu souvent excessif : la perspective et ultimement le temps.

 

Très frappante dans les œuvres de Klasen, c’est l’absence de perspective. Si la perspective a été parfois suggérée, elle n’est pas un personnage à part entière dans son œuvre, comme on peut le dire d’Anselm Kieffer. Intéressant de les mettre en parallèle ces deux artistes, allemands d’origine. Pourquoi Peter Klasen a-t-il décidé d’écarter la perspective, ses effets et ses contraintes ?

 

On dira une première raison, qui se donne à lire et à voir dans les œuvres exposées chez Eva Hober : une bonne partie de la représentation « Klasenienne » est du ressort du discours et de la mise en texte plutôt que de l’ordre de l’image. Klasen peint des signes, des codes, des objets dont le rôle dominant est d’informer, de prévenir, d’annoncer ou d’attirer et de séduire. Il peint donc des discours qui sont discours sur notre monde. Les panneaux « danger », « attention électricité haute tension » ou les boites à fusibles, les armoires à outils sont autant de prises de parole, sont autant de signaux, pas du tout symboliques mais bien réels, participant de notre réalité quotidienne, acteurs de cette réalité, nos guides en son sein. On peut imaginer une proximité avec tous les grands courants de l’écriture idéogrammatique. Ces signes qui nous font signes nous sont parfaitement lisibles comme l’étaient les hiéroglyphes égyptiens ou tant d’autres écritures à base de symboles. Les mots et les symboles du discours ne peuvent s’imposer que « platement » sur la toile ou le papier et la perspective n’y peut rien ajouter. A-t-on jamais vu un rébus inscrit dans l’espace avec des dessins soumis aux règles de la ligne de fuite ?

 

Mais, il y aussi cela que Klasen ne fait appel ni aux dieux, ni à leurs représentations : on a dit que la perspective des peintres de la Renaissance n’était autre que le moyen par lequel ils avaient ramené Dieu parmi les Hommes. Or, il n’est rien dans la peinture de l’artiste, qui en appelle ou se réfère à la présence d’un dieu ou de plusieurs. Pourquoi, s’inquiéter de recréer le monde « tel qu’il est » quand le monde est dit et raconté.

 

A l’opposé d’un Kieffer, chez qui la perspective est devenue, un personnage à part entière, un deus ex machina, qui rassemble dans la même perspective, les rails des trains et les sillons des champs pour les conduire vers la fin, l’achèvement et la mort, l’œuvre de Klasen est a-perspectiviste. Elle s’adresse autant à un regardeur qu’à un lecteur. Elle serait souvent justiciable du tête-à-tête intime que ce dernier entretient avec l’écrit, le manuscrit, le livre imprimé. Rébus, elle serait à la fois un jeu dans le discours et un jeu avec le regardeur du discours. Accumulant des signes qu’on doit connaître, si on est un amateur de rébus, l’œuvre aussi est découverte comme tout rébus : il se lit pourvu qu’on se dote de la bonne clef. Peter Klasen les propose à ceux qui aime déchiffrer.

 

On resterait dans le temps du discours et non dans le temps du monde. Les images de Klasen n’introduisent pas le déploiement du temps mais le déroulement de la lecture. Elles se présentent dans l’instantané d’une lecture à usage immédiat. Elles sont apparentées aux flashes et aux coups de sifflet. Comparaison n’est pas raison mais il est très intéressant de relever à quel point, la conception artistique de Klasen ne retient du temps que l’instant, le présent, le moment « ici et maintenant ».

 

Les œuvres de Klasen, sont composées de signes et de signaux. Le sens s’y lit. C’est donc dans ce temps du regardeur que se trouverait le temps de l’œuvre. A lui la responsabilité de faire se correspondre les éléments de la toile et de les faire parler. A lui de décider s’il est plusieurs sens et de quelles combinaisons de signes on peut les déduire.  A l’opposé, le temps Kieferien est celui de la mémoire et du surgissement incessant du passé.

 

Le travail de Klasen ne s’inscrit pas dans une représentation illusionniste du monde mais dans une illustration de ce qu’il faut comprendre de celui-ci. Lumière électrique et éclairage au néon, ne sont pas là pour compenser des ciels d’orage ou des passages nuageux. Ils n’apportent pas une lumière qui éclaire.

 

Ils sont un clin d’œil à la collectivité des regardeurs : ils symbolisent l’énergie qu’il faut dépenser pour, dans une œuvre d’art, dire le monde moderne.

 

 

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