Joel-Peter Witkin, à la BNF

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Joel Peter Witkin

BNF, jusqu’au 1er juillet

 


 

 

 

Y a-t-il des expositions qui font finalement peur à leurs initiateurs ? Ou les œuvres exposées paraissent si dramatiquement fortes qu’on préfère, pour communiquer, choisir les plus insipides ? Ou l’horreur passant mal les critères de la beauté, est-on conduit, instinctivement, subliminalement à rechercher dans les monceaux d’ordure, ce reste de choses, d’objets ou de visions à quoi la conscience peut se raccrocher en toute santé mentale ?

Pourquoi, en effet, avoir choisi, pour annoncer et communiquer cette exposition, la photo la plus « charmante », la plus « esthétiquement acceptable » de toutes les photos de l’artiste, la plus contraire aussi à ce qui est donné à voir. Ne pas se tromper : cette photo destinée à annoncer l’exposition est aussi là pour donner envie de s’y rendre. Par opposition à d’autres œuvres, les plus nombreuses, qui auraient pu avoir l’effet inverse ! Ne pas se tromper : cette photo, charmante est magnifiquement mise en cadrage, en tirage et en scène. Elle dit que l’artiste vient du Nord, tout imprégné de culture flamande, hollandaise et germanique. Elle annonce, il est vrai un travail d’exception…. Mais, elle est tellement décalée par rapport aux œuvres exposées ! Par son charme, par son équilibre délicat, par la sensualité qu’elle dégage, courbes des bras gantés de noirs, dessinant un corps que Cranach n’aurait pas renié. Finesse, subtilité et allusion sont là, qui renvoient tout à la fois aux surréalistes du nord et à leurs ancêtres, peintres des plats pays, des idées qui tuent, des détails qui trahissent et des trognes réalistes.


Pourquoi digresser ainsi, avant que d’attaquer la critique proprement dite de l’exposition que la BNF a organisée autour des œuvres de Joel Peter Witkin ? Ces questions, ces remarques ne sont pas des digressions, une façon aussi de retarder le moment des commentaires. Elles disent que cette exposition de cette œuvre, de cet auteur est un acte de foi dans l’art et une forme de courage esthétique. L’exposition est une des plus belles que j’ai jamais eu l’occasion de voir. J’y suis allé, j’y suis retourné. Elle fait partie aussi des expositions les plus questionnantes sur l’art, le beau, et le sens d’une œuvre.


Le titre de l’exposition : « Heaven or Hell » est étrange tant l’Enfer paraît l’emporter sur le Ciel… mais c’est là qu’est toute l’œuvre et que réside une part essentielle de l’œuvre de Witkin. . N’avons-nous pas tendance, pour nous rassurer, ou fruit d’un endoctrinement efficace, à penser que le beau est divin et la laideur issue des Enfers ? Qui a, un jour, imaginé que le Dieu des religions révélées pouvait avoir la tête d’un vieillard repoussant, couvert de pustules, aux membres atrophiés et au visage pareil à un « gueule cassée » de 14-18 ? Qui a imaginé que Quasimodo était beau, la preuve étant fournie par son adoration pour Esmeralda, dont personne n’a jamais imaginé qu’elle aurait pu être atrocement laide ? Witkin conduit les regardeurs de ses œuvres vers cette question de la beauté et de la laideur. De la laideur mise en scène avec autant de conviction qu’on prend de la peine à exposer la beauté. Il donne à voir « une vision » de la laideur, qui parfois émerge du pur décalage organisé entre les éléments combinés de ses photos. Il reconstruit ses visions avec méticulosité, sciences, souci du détail, de l’extrême détail, en usant de tous les moyens, fleurs et cadavres, modèles déformés et corps parfaits, instruments de torture explicités et paysages rêvés.  

Donc, on dira que Witkin nous propose une promenade en Enfer ? Parce qu’il dépeint l’horreur ? On le décrira comme une manifestation supplémentaire de ces modernes qui ne peuvent se faire entendre qu’à condition de brutaliser, de choquer et de hurler des imprécations ordurières, qui moulent leur merde parce que ce qui sort d’un artiste c’est nécessairement de l’art ? Witkin est justement tout l’inverse, il parle un langage très ancien, que les temps modernes ont voulu occulter.  


Américain incroyablement proche des hommes et des artistes d’Europe du Nord, son œuvre paraît sans cesse, de photo en photo, une reconstruction après relecture de l’esprit et du style de ces graveurs, peintres, sculpteurs qui nous ont montré les ambigüités du statut humain, entre Ciel et Enfer, continuant la spiritualité venue du Moyen âge. Il suit cette tradition humaniste qui nous met en garde contre les illusions du fameux « réel » et donne à voir que la vie, ici et maintenant, là, dans nos sociétés sur cette terre, n’est que vanité et procession d’aveugles.


L’exposition est commentée avec finesse et intelligence au moyen des œuvres des siècles qui précèdent. Elles pourraient être les sources de Witkin, dans le droit fil de cette idée de la fragilité de l’homme et de son statut dans le monde. Gravures venues du Moyen âge et de la Renaissance, référence aux grands artistes, Dûrer, Rembrandt, ainsi que tous les suiveurs, français et italiens, où sont montrés horreurs des attitudes, tortures, démembrements, viols et émasculations, horreur des êtres, vieillards démolis, gorgones qui se veulent séductrices, squelettes en sarabande, horreur des pensées, lucre, mépris, vanité.. L’exposition est ainsi scandée de ces références, jusqu’à Goya, Rops…


Witkin parle-t-il de la mort, du passage vers le néant, de la vaporisation des êtres ? Il évoque au contraire la vie et sa totale ambigüité. L’hermaphrodite est une figure constante qui est le support par excellence de tous les doutes que la nature humaine peut faire surgir. Beau comme une femme splendide, splendide comme un bel homme, il est là pour dire que le bon et le bien ne vont pas naturellement ensemble. Et que si on creuse, on peut avoir des surprises. Lisa Lyon en Kouros est une pure merveille de ce détournement des habitudes. A l’aune de Witkin, Helmut Newton fait dentellière ! Cette photographie est une pure démonstration du classicisme que sait manier l’auteur au service d’une parfaite corruption du sens. Les rayures, raclures, déchirures qui encadrent et forment toile de fond, montrent aussi l’esprit dans lequel l’artiste travaille. La photo prise n’est pas achevée. Elle est ensuite travaillée, si fort, si intensément que destruction peut s’ensuivre.


L’Alepth, machine infernale ou véhicule sorti tout droit de l’imaginaire d’un atelier surréaliste où se seraient retrouvés pour un moment de construction mécanique, Dali, Barbey d’Aurevilly et les tortionnaires de Ravaillac, est une parfaite démonstration de l’art de Witkin. Rien n’est du au hasard. La mise en scène, d’une complexité incroyable, est pensée absolument. Witkin est aussi un peintre de très forte envergure. Le fond de ses photos vient souvent d’un travail sur la toile, pinceaux, encre, dessins. Dans l’Aleph, le personnage nu et atrocement maigre est plaqué sur un chariot d’hôpital ou sur une charrette de quatre saisons, grimé et couvert d’un masque grotesque, corps préparé pour une torture ou exposé avant découpe.


Quelques photos de femmes nues, couchées ou de dos paraissent honnêtement éroto-sado, à moins de les « lire » en détail. Alors, le « honnêtement » disparait et une transgression s’installe en toute simplicité. La transgression, l’hermaphrodite, les corps atrophiés ne sont-ils pas la vie vraie et dite en toute clarté. Comme Witkin, montre en toute clarté, « Mother and Child », spectacle à la lisière de l’anthropophagie, que les rapports de la maternité ne sont pas tous à l’image des Vierges à l’Enfant de Raphael et de Léonard de Vinci ! Ou vue sépulcrale d’une maternité à venir, « La femme de Caïn », au ventre monstrueux, atrocement défigurée, est porteuse de mort, comme d’un enfant, enlacée qu’elle est par un squelette souriant. Dans un coin de sa tête, une vierge italianisante, en icône, considère sereinement le serpent qui se love dans les bras du modèle.


Il faudrait aussi citer les citations de Goya, les détournements d’ateliers, celui de Winter, les mises en scène revisitées de tableaux célèbres, « les Ménines », le studio de Courbet et cette œuvre qui parait à la fois un glissement de sens des odalisques d’Ingres et une exacerbation Dalienne : « La femme qui fut un oiseau ».

Il faudrait aller tout lire dans l’œuvre de Witkin, car, comme il en est de la peinture et de la gravure du Nord de l’Europe, il y a à voir, mais aussi et beaucoup, à lire. Les compositions sont parfaites, les constructions montrent un univers totalement maitrisé depuis les fondations jusqu’à la tuile faîtière. Elles se donnent comme purs objets de la volonté de l’artiste de donner à voir. Elles se donnent cependant aussi comme des livres où sont posés comme des paragraphes, comme des vers ou des versets, des détails qui, tous, sont porteurs d’une autre vision.


Venez avec vos yeux.

Venez aussi avec une loupe.


Passez, les photos se succéderont comme un ensemble impeccable. Ou, ne bougez plus ! Restez devant la photo qui vous aura appelé et lisez-la attentivement. Cela durera peut-être le temps d’une visite. 

Alors vous reviendrez voir les autres œuvres. Et tout recommencera.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                    

 

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