Mark Lewis: Regards et frémissements

Mark Lewis est au BAL jusqu’au 3 mai 2015 et expose une série de petits films sous l'intitulé: above and below

 

Il ne faut pas rater ce rendez-vous. On peut considérer le travail qui est montré sous deux angles, celui de la performance technique et celui des idées qui se déploient lentement sous l’objectif de sa caméra.

 

 

Sur le plan de la performance (sachant que je ne suis pas un spécialiste de la technique au sens le plus strict du terme) j’ai été très impressionné par la très grande qualité des images que les films projettent, en séquence relativement courtes, pas plus de quelques minutes. Que l’objectif vise un détail, parfois minuscule, offre une plongée dans un tapis d’herbes ou de broussailles en désordre ou, au contraire, qu’il procède de façon macroscopique, survolant des montagnes et faisant apparaître des forteresses, les angles de vue sont impressionnants de limpidité et de maîtrise. Ainsi la plongée qui est offerte sur cette forteresse du Val d’Aoste donne un sentiment de calme et de sérénité, pas d’à-coups, des transitions qui s’enchaînent insensiblement.

 

C’est bien le moins aura-t-on envie de me dire ? Les films d’auteur, les fictions pures ne peuvent pas faire moins bien que le cinéma commercial ou les documentaires. C’est bien le moins en effet, mais, il faut retenir en particulier que cette perfection technique est au service d’une idée de la relation au monde.

 

C’est le domaine des idées qu’on mentionnait plus haut. La meilleure illustration on la trouvera dans ce petit film qui fait voir un SDF un matin. Cold morning est le nom du film. La caméra enregistre les faits et gestes d’un homme qui vient de passer la nuit sur le trottoir, réchauffé par une bouche de chaleur. Il s’est levé et s’adonne au rituel de mise en ordre des effets, sacs en plastiques, couverture, morceau de matelas qui constituent à la fois tous ses biens ou qui les contiennent. On oublie progressivement le côté « voyeuriste » de la Caméra pour ne s’attacher qu’à cet homme qui exécute, méticuleusement une succession de petits gestes, de gestes qu’on pourrait dire insignifiants. Il s’éloigne un instant pour aller déposer des déchets ou des papiers dans une poubelle publique, il plie sa couverture et puis, parce qu’il fait froid,  il s’interrompt, une fois une tâche accomplie, pour se réchauffer les mains avant d’en entamer une autre, puis encore une autre et ranger un sac en plastique dans un autre sac en plastique, retourner encore vers la poubelle pour y déposer on ne sait quoi, comme si ce détour était important et devait être fait pour que la matinée ait été vécue comme il fallait.

 

Ritualisation de gestes infimes qui nous est donnée à observer chez cet homme dont personne ne voit le visage caché par le capuchon de son anorak rouge. Un homme que personne ne voit plus et qui n’a pour lui que ces gestes, microscopiques, séquencés avec rigueur qui ont, pour les uns la mission de grignoter le temps et ainsi de l’empêcher de s’imposer, pour les autres la tâche de le maintenir au sein du monde, gestes sociaux, gestes qui pourraient être ceux de tout le monde et ne devraient pas nous être étrangers. Insensiblement, le film pousse le « regardeur » à se regarder lui-même. Ces gestes infimes qui se succèdent sans heurts, doucement, ne sont-ils pas les frères de tous nos gestes fugaces, microscopiques, qui semblent automatiques parce que nous n’y pensons plus et parce que nous ne leur conférons aucun sens, aucun contenu. Le regard porté sur le SDF de « Cold Morning » en appelle à une sorte communauté de sens et de sentiment sans jamais se permettre un regard compatissant ou amical.

 

Il en est de même pour le regard porté par la caméra sur un travailleur polonais qui, assis sur une banquette dans un café, est en train de fumer une cigarette et semble ne se livrer à aucune autre occupation. Se déploie un temps long qui est celui de la vacuité et de la futilité absolus car rien ne se passe… futile, inexistant, on dirait un temps-parenthèse, un moment où l’esprit a décidé de s’en aller pour se reposer, pour faire des choses plus importantes peut-être dans son coin. Il ne laisserait sur la banquette qu’un fantôme très tangible, l’écorce d’un homme, un personnage tout en surface, abandonné à rien, c’est-à-dire à une non-action, pire qu’une inaction. Car, ici aussi, l’action est absente au sens où dans le tournage d’un film on crie « action ». Ce n’est pas tout à fait vrai, il y a de l’action, une fumée qui se déroule, la cigarette sur laquelle tire avec application ce travailleur polonais. Peut-on dire qu’on n’existe pas à certains moments où on ne parait plus penser, agir, réfléchir, parler ou sentir ?

  

Le cinéaste ne cherche pas à percer au travers d’un visage pour nous dire que derrière cette fixité, tout un monde ne demande qu’à être découvert. Il montre un visage, qui est aussi notre visage, quand l’agitation, le désir de paraître, de communiquer, de dire ou d’imposer ne sont plus là pour le modeler, le tordre en visages de clowns. Quand il s'est absenté des rites sociaux. Quand il n'est plus qu'avec lui-même sans comédie ou tragédie à jouer.


Ce serait ennuyeux ? On se lasserait vite de ces petits films qui montrent des riens, des petits riens sans importance ? Non, on ne s’ennuie pas, on regarde, on observe et dans le calme de ces films très lents reviennent de vieux morceaux de poésie. Pour moi, des vers de Prévert, sur le rien, sur le pas-dit, l’absence, l’indifférence…

 

…Il a allumé

Une cigarette

Il a fait des ronds

Avec la fumée

Il a mis les cendres

Dans le cendrier….

 

Mark Lewis est né en 1958, au Canada. Il vit et travaille à Londres. C’est à partir des années 1990 qu’il se livre à la conception et à la réalisation de films courts. Son travail est montré dans de nombreux musées en Europe, au Canada et aux Etats-Unis.

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