Roger Ballen, Voir et dévoiler, chez Vu

Roger Ballen

Galerie Vu,

 

Jusqu’au 6 juillet 2013

 

A peine avais-je vu la remarquable exposition Dubuffet-Chaissac au Musée de la Poste, je me trouvai Galerie Vu, pour une exposition non moins remarquable, celle d’un choix exceptionnel de photos de Roger Ballen.

Quoi de remarquable dans ces visites successives ? Si ce n’est que Ballen est probablement le photographe le plus dubuffetien que je connaisse (s’il en est d’autres !). Est-ce logique ? Géologue de formation, il aurait des affinités culturelles avec un observateur intense de la nature des sols, de leurs textures et de leurs grammaires. Psychologue aussi, il aurait partagé la passion de Dubuffet pour les exilés de la conscience, les ratés de la pensée, les damnés de la société… S’il avait été peintre, il aurait griffé et gratté des couches de matières étranges pour terminer au couteau des visages grimaçants ?

Je tiens à cette comparaison. Je ne sais pas si l’américain Roger Ballen, séparé du Français par un demi-siècle (il est né américain en 1950. Dubuffet, français, en 1901) et par quelques milliers de kilomètres s’est inspiré du peintre français : je trouveextraordinaires les correspondances entre les deux hommes.

 

Ballen est un de ces artistes qui font survenir la réalité au-delà des apparences. S’il en est besoin, il l’utilise en toile de fond, pour finalement s’emparer de tout ce qui lui parait utile et la faire revenir, plus réelle et plus vraie. Il y a du Witkin aussi chez cet artiste. Prise de conscience que ce qui se voit peut être sinistre, horrible et révélateur de l’ombre qui ravage l’homme de l’intérieur. Mais aussi, que de ce fatras de malaise, de malades, de malformation, un humour, une drôlerie peuvent survenir.

Le parcours qu’ouvre l’exposition de la Galerie VU est remarquable en ce sens que toutes les périodes où l’art de Ballen s’est réalisé et transformé sont là, représentées par des photos, quelque fois « iconiques », couvrant une très large partie de la production de l’artiste. Ballen qui se veut initialement photographe documentaire, se découvre, tout au long d’un processus d’invention de « soi-même », artiste et visionnaire. Un photographe, qu’il le veuille ou non, ne donne de la réalité qu’une « vue » partielle. Ou, plus précisément, donnant sa vision de la réalité, il la transforme en œuvre. Accepter cette émergence d’une autre réalité aura été chez Roger Ballen un mouvement progressif et continu qui, le faisant partir d’une documentation inspirée, l’a fait arriver à la pure réinvention de la vérité du monde.

 

Très tôt, cette vérité de Ballen prend un aspect surréel. Une œuvre très ancienne, « Froggy boy (1977) » place l’enjeu de la réalité à un niveau élevé. Cette photo est à la fois merveilleusement « naturelle » : jeune garçon qui montre sa « prise », une grenouille… et remarquablement « posée » c’est-à-dire pensée par le photographe. La tenue de l’enfant est d’une élégance consommée, un feuillage l’encadre opportunément, la pierre sur laquelle il se tient, le déhanchement du corps n’appartiennent à aucune « réalité naturelle » ! Dans la pensée du photographe est-on sûr que ne se trouvaient ni l’Apollon Sauroctone de Praxitéle, ni le David de Donatello ? Ce n’est surement pas parce que cet enfant porte de sa main gauche une paire de savates que de telles références sont incongrues. Références ou enjeu inconscient ? Photo voulue ou recherche d’une réalité plus réelle ?

 

Un peu plus tard, à l’opposé du mouvement de danseur de ce jeune garçon, la photo « Old man » (1983) vient dire que le sujet du photographe peut être écrasant si le photographe sait le capter (capturer) et le faire venir à ce qui lui paraît essentiel. Masse noire, un vieil homme noir, coiffé d’un chapeau noir et vêtu d’un manteau noir. La photo est construite autour d’un contraste ombre / lumière où le visage, le chapeau, les épaules sont massivement noires. Droit comme une colonne, les traits figés, comme plaqué au mur, le sujet est pris en buste, les mains ont disparu. Seules parcelles d’intensité : les yeux, fixes, d’où émane un regard dérangeant.

Entre ces deux « thématiques » vont se positionner des photos où le réel deviendra progressivement de plus en plus « irréel », reconstruit, réinventé pour lui donner du sens en plus. Pour aussi, dire qu’une œuvre n’est pas une réponse nécessaire à une question que l’artiste se serait posée pour le compte de futurs « regardeurs ». L’art de l’artiste, j’en suis convaincu et c’est vrai des plus grands artistes, est de poser les questions. C’est là que se trouve la force et l’importance de Roger Ballen.

 

« Man Shaving on verandah » (1986) est une magnifique illustration du talent du photographe et de la force de ses prises de vue. La construction est parfaite, la mise en scène, sans faute, place tout l’enjeu de la photo, en peu de détails, seuls ceux qui sont nécessaires. Au milieu d’une véranda, installé en haut de quelques marches, accroupi, tenant un miroir minuscule d’une main, un rasoir de l’autre, un homme recroquevillé, peut-être nu, essentiel, concentré. Il ne lui reste pas grand-chose d’autre que ce geste, se raser, sur lequel il est concentré, replié, comme tout entier tendu, dernier moment de dignité ?

Pour terminer l’illustration de cette sur-vérité humaine que Ballen capte, il faut parler des personnages dont la représentation envahit l’espace de ses photos et écrase tout ce qui traîne autour d’eux : décors de la misère, objets démolis, résidus domestiques.  Célébrissime photo des jumeaux « Dresie et Casie (1993) », celle du « gardien de prison en uniforme (1992) » et celles des « deux ouvriers » l’un noir et l’autre blanc (1997). Toutes photos qui disent que la réalité, si elle est comme la vérité, n’est pas toujours belle à dire, mais doit être montrée.

 

Progressivement, l’œuvre de Ballen devient toujours plus construite et s’écarte même des jeux où la réalité pulvérise la fiction. L’artiste débusque une nouvelle réalité en utilisant une fiction totale, tout devenant posé, posté, installé pour faire surgir des rencontres et des questions.

L’homme, les personnages deviennent alors des éléments dans les compositions, quitte à ce que ces éléments soient des morceaux de corps, des pieds pris en gros plans, monstrueux « enserrant un chiot (1999) » ou des bustes à pattes et à bras, sans tête, engagés dans une partie étrange avec un assemblage de morceaux d’aciers en forme d’insecte. « head inside shirt 2001 ». Roger Ballen introduit en décor ou en sujet principal de ses photos des dessins de grotesques et de personnages proches des bonshommes de Dubuffet et de Chaissac. Il déconstruit les objets, les mutile et réinvente des images surréalistes dans la lignée de Man Ray et Bellmer. Il repeint les murs et les couvre de signes, de ratures et de personnages sortis de cauchemars ou de la main inexperte d’un reclus, d’un exclu.

 

Enfin, on ne peut pas ne pas découvrir Roger Ballen sans voir qu’inventées ou pas, ou mises en scène, ses photos sont toutes remarquablement structurées, les espaces dans lesquels elles sont insérées. La conception graphique et plastique de la photo, sa lumière, le partie pris argentique, l’utilisation de l’ombre, du gris et des nuances de la lumière sont de véritables morceaux d’anthologie. (Morsure 2007, mais aussi Hanging Pigs 2001 et aprehended 2005).

Une exposition d’une très grande Force. A revoir plusieurs fois !!!

 

 

 

 

 

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