Kiefer, Paris, décembre 2015

5 La nature des choses

 

 

Difficile d’imaginer Kiefer devant un chevalet… mieux vaut penser à un élévator. La fabrication de l’art, chez lui, relève des techniques du bâtiment plus encore que de la technique picturale même lorsque cette dernière, entre les mains de génies comme Bacon, Dubuffet ou Pollock, se déploie dans des univers qui ressemblent davantage à des décharges sous verrière qu’à des lieux idéalisés de création (le romantisme de l’Atelier et de ses verrières à hauteur de voûte gothique).

 

Mais aussi, comment faire quand l’auteur est plus souvent un modeleur qu’un peintre, quand le peintre qu’il est en vient à sculpter une matière picturale comme un sculpteur travaillerait l’argile naturelle ou artificielle, quand le modeleur de volumes sur toiles se veut aussi architecte et bâtit des univers, des pyramides tronquées ou d’immenses bâtiments dont les vides intérieurs sont scandés par des colonnes doriques.

 

Difficile d’imaginer Kieffer dans l’intimité d’un lieu de création propice à la rêverie et à la méditation. C’est d’autant plus difficile que les photos de ses ateliers montrent de véritables bâtiments ou enchaînements de bâtiments, creusés ou érigés, capables de contenir, exhausser, maintenir droit, relever ou suspendre des œuvres à taille de fresques, des formes qui se détachent du plan de la toile et se montrent incrustées dans l’œuvre au droit même de ce plan.

 

Pensez-vous pouvoir lire paisiblement des livres en plomb de plus de 200 kilos, ou déchiffrer des grimoires épais comme des tuyauteries d’air conditionné, en bois calciné ou en étain ? Curieusement, les œuvres les moins considérables, exposées au Musée Pompidou, des assemblages de matériaux en tous genres, des machines desossées et réassemblées, des combinaisons de matériaux sont celles qui paraissent à taille humaine. Et à ce titre, elles sont protégées dans des boîtes de plastique ou de verre transparent, trop fragiles pour être laissées à portée des mains des regardeurs. (Mais elles ne sont pas protégées contre les commentaires imbéciles, dont celui que j’entendis, dégringolant de la bouche d’un conférencier, qui expliquait que tout ceci renvoyait aux « célibataires même » de Duchamp !!!).

 

La peinture de Kieffer ? Est-elle seulement faite de peinture ? Si non, pourquoi continuer à l’affubler de ce nom ? Peut-être parce qu’il est tout aussi difficile de la nommer sculpture ? Surtout pas « collage », qui renvoie à de l’intime, à du « fait main », aux découpages délicats et aux constructions fragiles ! Alors de quoi parle-t-on ? Il est vrai que sur ce chemin-là, se trouvent d’autres artistes. On pense à Dubuffet évidemment dont certaines peintures renvoient davantage à l’art du carreleur et à celui de l’étancheur de bitume. Il y a aussi du plâtrier chez ces hommes-là et du technicien de surface et du chiffonnier.

 

Peinture est donc un mot un peu étrange tant les matières employées par Kiefer sont hétérogènes, ressortant des domaines minéraux, végétaux, chimiques. Il est vrai pourtant qu’une part essentielle de son œuvre s’inscrit dans les grands a-plats caractéristique de la peinture, même lorsqu’elle a quitté le chevalet et qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec les travaux de hauts et bas-reliefs des sculpteurs de toutes les époques.

 

Peinture donc, à défaut d’autre terme ! Très vite le travail de Kiefer va renoncer à l’emploi de la peinture au sens classique du terme pour aller vers la manipulation de matériaux végétaux ou minéraux. La paille semble avoir eu sa préférence et demeure un moyen de figuration et d’expression particulier. Est-ce par référence au pisé ou au torchis mélange de terre et de paille dont on faisait des maisons, des temples et des palais. Des œuvres entières sont élaborées à partir de ce matériau ou en l’impliquant massivement. De même que la paille est employée pour elle-même en tant que telle sans transformation de même le plomb est un matériau récurrent, emblématique de l’œuvre de Kiefer. On connait l’anecdote devenue célèbre de Kiefer achetant les restes de la couverture en plomb de la cathédrale de Cologne. Etrange combinaison où l’élément le plus léger, le moins durable, jointoie le plus lourd, capable d’éternité.

 

Cette opposition entre des matériaux contraires se retrouve sous d’autres matières dont l’emploi est moins systématique, sables et porcelaines, photos et acrylique. Schellack et huile. Ces matériaux qu’ils soient d’un usage presque permanent ou au contraire anecdotique viennent se joindre aux morceaux de bois, aux graines de tournesol, aux objets arrachés à leurs machines, aux hélices en plomb, aux fougères collés sur des instruments en fer-blanc.

 

La représentation des choses, du monde, du temps, des lieux et des bâtiments ne passe pas par des lignes imaginaires. Toute peinture est une distorsion du vrai et du réel et porte au « regardeur » des indications, des signes, des mots et des phrases ordonnancés autour d’une grammaire. L’aplat pur de la peinture est déguisé par les « découvertes » intellectuelles, raisonnables qui renvoie le regardeur à la géométrie comme moyen d’intellection du monde. Ou bien, les couleurs sont convoquées et investies de sens qui permettent au regardeur de connaître ce qu’il voit, de comprendre les hiérarchies et les situations. Ou bien c’est l’esprit qu’on voudra insuffler par le moyen de l’œuvre, alors à l’inverse de deux précédents, la rigidité des corps, des visages et des vêtements s’imposera sur la vie, le temps et les projets humains, trop humains.

 

Les matériaux qu’emploient Kiefer renvoie ces distorsions dans les salles de musée ou dans les écoles où on apprend à bien faire. Ils font ressortir le thème représenté comme s’il appartenait à notre temps, celui du regardeur, celui qui est en face de l’œuvre à ce moment précis où il regarde, que ce regard ait eu lieu 20 ans avant celui d’un regardeur plus tardif. Kiefer ne représente pas. Il introduit le regardeur dans un monde qu’il ne voyait pas, qu’il ne ressentait pas, qu’il avait occulté aussi, un monde qu’il n’aurait pas aimé vivre et qu’il a cependant construit de ses propres mains, avec de la paille, avec du plomb et des graines de tournesol et du schellack. C’est pourquoi on a dit plus haut qu’on ne peut pas regarder les œuvres de Kieffer très longtemps. Passe le temps et le regardeur ne regarde plus, il vit l’œuvre construite avec les matériaux qui servent à construire, réellement ou métaphoriquement. C’est en ce sens qu’il n’y a jamais représentation, ni même présentation : on devrait dire que les œuvres de Kiefer relèvent de l’introduction par laquelle on vient dans le monde, par laquelle on quitte une apparence de monde pour retourner vers le vrai monde.

 

La nature des choses est composée circulatoirement. On la dira en un jeu de mots : Les choses de la nature livrent une nature des choses plus vraie, plus sensible, plus durable. Les grands tournesols noirs ne nous disent pas le malheur du monde, ils nous disent qu’il est dans la nature des tournesols de devenir noirs, une fois qu’ils ont été mûris par le soleil. C’est nous qui les investissons d’un génie maléfique ou simplement sinistre. En revanche, les champs dont les sillons, emplis de terre et de paille, convergent vers une ligne imaginaire, les rails en fer ou en plomb qui eux aussi pour les mêmes raisons convergent vers une ligne qui n’a plus rien d’imaginaire puisqu’elle vient de nous, tous ces champs, ces voies ferrées sont plus réelles que dans la vie de tous les jours où tout est bâti sur l’oubli.

 

 

Le temps de la matière est immuable, le monde est présent sans cesse. Quand il se colore de fleurettes, il faut prendre garde que cette matière-là est loin d’être innocente. Le sombre coloré n’est souvent qu’un cri plus aigu.   

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